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Moi, c'est Deborah. J'ai 17 ans. Je passe la plupart de mon temps à étudier toute sorte de choses, tant que ce ne sont pas celles que j'apprends à l'école. Je sais placer tous les pays de l'Europe sur une carte. Ainsi que tous les états des États-Unis. Je peux reconnaître une constellation rien qu'en regardant le ciel. Ma préférée, c'est celle du Taureau parce qu'on a l'impression que la forme des étoiles représente quelqu'un qui nage. Et moi j'adore nager. C'est ma passion depuis que j'ai 6 ans. Dès que je me suis inscrite au club de natation.

C'est là que j'ai rencontré Thibaut, mon meilleur ami de toujours. Avec Thibaut on fait tout. Mais surtout, on fait tous les trucs les plus cons possibles. Du genre toquer aux portes des maisons pour ensuite s'enfuir en courant. Partir d'une sandwicherie sans avoir payé, pour ensuite retourner dans la sandwicherie pour payer parce qu'aux fonds, on est des lâches et on assume pas. La sandwicherie, c'était un endroit où l'on se retrouvait tous les midis. Nous, on pouvait manger dehors parce qu'on habitait dans la même ville que notre école. Pendant que tous les autres élèves de notre classe nous enviaient car ils devaient se contenter des patates et du cordon bleu de la cantine, pendant qu'on se faisait un poulet pané, ognions et crudités. Avec une bonne canette de coca à côté. J'ai déboursé des sommes folles là-bas. Pendant que les autres filles de mon âge dépensaient leur argent dans les nouvelles fringues de chez Zara, moi je le dépensais à bouffer des sandwichs avec mon meilleur pote. Et ça m'allait très bien. Des amies filles, je n'en avais pas, trop occupées à penser que je n'étais qu'un garçon manqué avec mes cheveux courts noirs et mon piercing au nez. Alors que franchement, entre nous, ça ne signifie rien du tout. Et puis, ça m'allait très bien, de n'avoir que Thibaut. Il valait mieux avoir un ami fidèle qu'une bande entière qui pourrait à tout moment vous jouez un sale coup. Nan, je suis restée avec Thibaut. Thibaut, il pouvait jamais me faire de mal.

C'était un Lundi quand j'ai avoué à Thibaut que j'étais lesbienne. Encore à la sandwicherie, à la même table où nous étions toujours d'habitude. Il n'a pas semblé surpris, au contraire, c'était comme si il l'avait toujours su, qu'il me lançait un regard désapprobateur en disant " Qu'est-ce que ça peut me foutre ? " et c'est ce qu'il a dit.

- Je sais pas, je pensais qu'il fallait peut-être que je te le dises... On se dit tout.

- On devrait pas avoir à faire une annonce pour ça.

Dans un sens, il n'avait pas tord. Mais il ne pouvait pas dire ça. Dans une société comme la nôtre, si on est ne serait-ce qu'un petit peu différent, nous sommes mis de côté.

- Et puis, sans vouloir t'offanser, ça se voit à 10km.

Je suis restée perplexe. Comment ça, ça se voyait à 10km ? Parce que j'avais les cheveux courts ? Que je ne portais jamais de robes ? Que je ne m'intéressais en rien au maquillage ou à la coiffure ? Peut-être. Mais ça, c'était des clichés qui m'éxaspéraient.

- Il y a des filles qui me ressemblent qui sont hétéros.

- Je parle pas de tes fringues. Mais de ton comportement.

Là, j'étais encore plus perdue. Est-ce qu'il m'arrivait de regarder des filles, non discrètement, dans la cour du lycée ? De cacher des magazines pas très catholiques sous mon lit ? Peut-être. Parler de la même chanteuse à longueur d'affilée ? Très certainement. Mais cela ne justifiais rien, si ?

- Dès que Maurinne passe à côté de toi dans le couloir, tu ne peux t'empêcher de détourner la tête pour la suivre du regard jusqu'à-ce que tu ne la vois plus.

Là, il avait marqué un point. Il est vrai que j'avais une légère attirance pour Maurinne. Une année au dessus de moi, ainsi que 5 centimètres. Elle portait toujours du rose Maurinne. Ce n'était pas du tout la représentation d'une fille intéressée par une autre dont je parlais tout à l'heure. Ce qui signifiait donc, que je n'avais absolument aucune chance avec elle. La première fois que j'ai vu Maurinne, c'était l'année passée. Elle venait de déménager et débarquait dans le lycée. Je l'ai tout de suite remarqué, qu'elle était nouvelle, avec ces cahiers débordant de ses bras et son regard vers le ciel, comme pour chercher un chemin qui n'existait pas, ou dans ce cas une classe. J'avais voulu m'approcher d'elle pour lui demander si elle avait besoin d'aide. Mais ensuite, Matthieu est arrivé.

Alors, Matthieu, c'est un sacré numéro. Vous voyez les teen movies américains qui se passent dans des lycées où les élèves ont notre âge, mais qu'en réalité ils ont l'air d'en avoir 23 ? Ces lycées américains où il y a toujours l'équipe de football avec le fameux capitaine et la première lettre de son prénom sur son veston bleu ? Et bien c'est lui. Mais sans le veston bleu. À la place il porte un perfecto noir, trop grand pour lui, comme pour se donner un genre de biker alors qu'il n'était jamais monté sur un vélo de sa vie.

Comme moi, il avait tout de suite remarqué Maurinne, mais.. pas comme moi, il s'en été direct approché. Il l'a emmené dans les couloirs pour lui faire visiter le lycée. Et depuis ce jour, je surveille chacun de ses faits et gestes. Ceux de Maurinne, pas de Matthieu. Quoique, il arrive parfois que je regarde ce qu'il fait, comme pour m'assurer qu'il ne fasse jamais ce que je puisse redouter, la conquérir. Mais ne vous inquiétez pas.. Après quelques notes, j'ai retenu que Matthieu n'était sûrement pas le style de Maurinne. J'étais bien culottée de prétendre quel était son style ou non. Mais je sentais bien dans les expressions du visage de Maurinne, qu'elle le trouvait tout aussi arrogant et oppressant que moi. Alors parfois elle tentait de s'éloigner, en prétextant s'engouffrer dans la foule d'élèves qui passaient à ce moment là, alors qu'elle souhaitait juste quitter cette discussion un peu gênante sur les pecs que Matthieu se faisait toutes les semaines à la salle de sport.

Le seul moment où je la retrouvais seule, c'était à la bibliothèque. Ce qui m'a d'ailleurs étonnée, moi qui pensait qu'elle serait plutôt du genre à se remaquiller correctement dans les toilettes plutôt que d'aller à la bibliothèque lors des nombreuses heures libres que nous avions. J'ai failli aller lui parler, une fois, lorsqu'elle était assise sur une table de quatre et qu'elle lisait un livre sur Socrate. Moi qui aimait la philosophie, je m'étais dis que cela pouvait être un bon moyen pour prétendre avoir des points communs avec elle. Mais au moment où j'allais m'asseoir à côté d'elle, mes nerfs et l'angoisse ont pris le dessus, et je me suis cachée derrière le rayon des livres sur les sciences occultes lorsqu'elle avait soudainement tourné la tête. Une chose était sûre, elle m'avait entendue ou du moins sentie. Une chose l'était plus, c'est qu'elle ne m'avait pas vu. Et une autre encore plus, c'est qu'elle ne savait toujours pas que j'existais.

- Comment tu veux te la faire un jour si elle sait même pas que t'existes ?

- Ne parle pas comme ça dis ! Et puis, c'est peut-être mieux qu'elle ne sache jamais que j'existe.

- Oui mais pendant ce temps là tu vas encore me rabâcher combien tu penses à elle toute la journée et ça va commencer à me gonfler.

- Ça te gonfle ? lui demandais-je d'un air inquiet.

Il a haussé les épaules, comme pour ne pas me blesser avec son honnêteté. Mais bien évidemment, je savais que ça le gonflait. Et je connaissais Thibaut pour ne pas être un si bon acteur.

- Bon, il est 13h, faudrait pas tarder à r'tourner au bahut.

Nous nous sommes levés, avons jeté nos papiers à la poubelle ainsi que nos couverts en plastique, et avons hésité quelques instants, en se regardant, à payer ou non, avant de finalement se diriger vers le comptoir et sortir notre porte-monnaie.

hors des flotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant