I. vie d'Esope

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Ésope a-t-il existé ?


Ésope a-t-il existé, ou n'est-ce qu'un nom légendaire, comme ceux d'Homère, de Linos et d'Orphée ? On sait que chez les Grecs tout genre littéraire devait avoir un inventeur.
Il en fallait un à la fable comme aux autres genres : à défaut d'un inventeur authentique, n'en a-t-on pas imaginé un faux ? En tout cas, il s'est rencontré plus d'un savant pour soutenir qu'Ésope était un nom sans réalité, destiné à servir de patron à la fable. Ce qui a fait douter de l'existence d'Ésope, c'est d'une part la pénurie de documents authentiques, et d'autre part le fatras de racontars puérils et invraisemblables dont on a chargé sa biographie.

Les documents : Hérodote:

Essayons de nous faire une opinion en passant au crible les documents que l'antiquité nous a légués. Le premier en date est le témoignage d'Hérodote. Au livre II, chapitre 134 de ses Histoires, Hérodote, parlant de la pyramide construite par le roi Mycérinos, réfute l'opinion de ceux qui en attribuaient la construction à la courtisane Rhodopis, et il ajoute : « En outre ils ignorent que Rhodopis vivait sous le règne d'Amasis, et non sous celui de Mycérinos ; elle vécut en effet nombre d'années après les rois qui ont laissé ces pyramides. Elle était Thrace d'origine, esclave d'Iadmon, fils du samien Héphaestopolis ; elle fut compagne de servitude d'Ésope le
fabuliste. En effet Ésope fut esclave d'Iadmon, comme le démontre surtout le fait suivant : lorsque les Delphiens, obéissant à un oracle, firent à plusieurs reprises demander par un héraut qui voulait recevoir le prix du sang d'Ésope, il ne se présenta personne, sauf un petit-fils d'Iadmon, nommé lui aussi Iadmon : cela prouve qu'Ésope avait appartenu à Iadmon. »

Discussion du témoignage d'Hérodote:

Tout n'est pas indiscutable dans ce texte. On peut y relever d'abord deux faits qui sont présentés comme notoires. Le premier est l'existence d'Ésope le fabuliste. Il apparaît que c'est un personnage bien connu, puisque son nom est pris comme point de repère pour fixer l'époque où vécut Rhodopis, Le deuxième est la rançon payée par les Delphiens pour le meurtre d'Ésope, Hérodote se contente de faire allusion à ce meurtre, comme s'il était de notoriété publique. Sur quoi s'appuie son assertion ? est-ce sur la tradition orale ? est-ce sur un document conservé à Delphes ? Quoi qu'il en soit, il nous faut décider ici entre Hérodote et ceux qui tiennent Ésope pour un nom supposé. Or que peuvent-ils opposer à l'autorité de l'historien ? Qu'il a été dupe d'une supercherie ? qu'il a cru à l'existence d'un homme imaginé pour être le héros éponyme de la fable, et que la mort d'Ésope à Delphes est le premier effort de l'imagination grecque pour assurer à ce prétendu créateur de la fable une existence réelle et une histoire ? Ces objections ne reposent en somme que sur des vraisemblances, tandis que l'assertion d'Hérodote est formelle et que nous n'avons ni fait ni témoignage à lui opposer. Le plus sûr est donc de nous ranger sous son autorité, et d'admettre qu'il y a eu un fabuliste du nom d'Ésope, et même que ce fabuliste périt à Delphes de mort violente.
Hérodote nous apprend un troisième fait qui n'est pas aussi simple que les deux précédents, c'est qu'Ésope fut le compagnon d'esclavage de Rhodopis, c'est-à-dire esclave d'Iadmon. Il fonde cette dernière assertion, non sur un témoignage, mais sur un raisonnement. C'est parce qu'un Iadmon, petit-fils du maîre de Rhodopis, vint à Delphes recevoir le prix du sang d'Ésope qu'Hérodote en conclut que le premier Iadmon était le maître de notre fabuliste. La déduction est inattaquable, s'il est avéré par ailleurs qu'Ésope était de condition servile ; elle ne l'est pas, si l'historien a cru qu'Ésope était esclave sur la seule foi de son raisonnement. Car qui empêche de croire qu'Ésope était un parent, non un esclave d'Iadmon ? Il serait dès lors un homme libre et un grand personnage. A ce titre il pouvait, comme nous le représente Aristote, intervenir, comme orateur public, dans l'assemblée des Samiens ; d'autre part on s'expliquerait plus facilement la célébrité que lui valut son talent de conter des apologues. Sur l'esclavage d'Ésope, le récit d'Hérodote laisse donc place à quelque scepticisme. Il faut dire cependant que l'antiquité n'a pas eu de scrupule sur ce point, qu'elle a docilement suivi Hérodote et qu'elle n'a jamais mis en doute que le sage Ésope eût été esclave.

Les Fables d'ESOPEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant