III. HISTOIRE DE LA FABLE ÉSOPIQUE

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La fable est sortie du conte qui naquit lui-même dès les premiers balbutiements de l’espèce humaine. Elle n’en diffère pas en ce qu’elle substitue aux acteurs humains des animaux ; car il y a des contes d’animaux, comme il y a des contes d’êtres humains, et l’idée de raconter des aventures d’animaux dut se présenter tout naturellement aux premiers hommes qui vivaient avec eux dans une société plus étroite. La fable ne s’est séparée du conte que le jour où le conteur, préoccupé d’être utile, tira de son récit une leçon morale. L’idée piquante de faire de nos frères inférieurs des maîtres de sagesse a fait fortune chez tous les peuples, dès qu’ils ont su réfléchir sur la vie et les règles de conduite qu’elle comporte.

fable avant Ésope:

Les Grecs n’attendirent pas l’exemple pour enfermer leur expérience de la vie dans le cadre de la fable. On se racontait certainement des fables depuis longtemps, lorsque Hésiode, deux siècles avant Ésope, mit en vers celle du Rossignol et de l’Épervier.
« Je vais maintenant, dit-il, instruire les rois, tout sages qu’ils sont. Voici ce que disait un jour l’épervier au rossignol, qu’il emportait au sein des nuages entre ses ongles recourbés. Comme l’infortuné, percé des serres cruelles du ravisseur, se plaignait en gémissant, celui-ci lui adressa ces dures paroles : « Malheureux ! pourquoi ces plaintes ? Un plus fort que toi te tient en sa puissance. Tu vas ou je te conduis, quelle que soit la douceur de tes chants. Je puis, si je le veux, faire de toi mon repas ; je puis te laisser échapper. Insensé, qui voudrait résister à la volonté du plus fort ! Il serait privé de la victoire et ne recueillerait que la honte et le malheur. » Ainsi parla l’épervier rapide, aux ailes étendues. » Telle est la plus vieille fable grecque qui nous ait été conservée. Elle a déjà les traits essentiels de la fable classique : un récit bref dont les traits sont choisis en vue d’une conclusion, et une conclusion qui est un conseil ou un précepte de conduite.
Cet ingénieux moyen de relever une vérité fut repris au VII e siècle par Archiloque. Les fragments de ses œuvres renferment le commencement de deux fables, celle de l’ Aigle puni pour avoir dévoré les petits du Renard, son ami (fr. 86, 87, 88 Bergk) et celle du Singe attiré dans un piège par le
Renard (fr. 89, 90, 91). Plusieurs autres fragments malheureusement trop courts laissent deviner d’a
utres fables dont le sujet se retrouve dans les recueils ésopiques.
Sémonide d’Amorgos avait aussi utilisé la fable comme ornement, si l’on en juge par les deux vers où il montre le héron enlevant une anguille du Méandre. On attribue à un contemporain de Sémonide d’Amorgos un scholion cité par Athénée et qui semble se rapporter à la fable du Serpent hargneux étouffé par le Crabe . Enfin, s’il en faut croire Philistos et Aristote, Stésichore, vers la fin du VII e siècle, détournait les gens d’Himère de donner une garde à Phalaris, en leur contant le bel apologue du Cheval et du Cerf .

Ésope:

Avec le VIe siècle s’ouvre l’ère de la poésie gnomique. C’est le temps où les sept Sages condensent en maximes leurs observations sur la conduite des hommes, où Pythagore et ses disciples réduisent leur sagesse en préceptes, où Cléobule de Lindos et sa fille proposent leurs énigmes. C’est aussi le temps où la tradition fait paraître Ésope.
Et c’est bien en un temps où les esprits sont tournés vers la morale que la fable devait fleurir et porter des fruits. Ésope, nous l’avons vu, ne l’a pas inventée, et s’il a été considéré comme le père de la fable, c’est sans nul doute qu’il a frappé ses contemporains par l’abondance de sa verve, par son talent à rajeunir les vieux thèmes et à en imaginer de nouveaux, et qu’il a exercé par la fable, comme Socrate le fera plus tard par sa dialectique, un apostolat plus humble auprès de la foule qu’il amusait et moralisait à la fois. Mais la fable resta dans sa bouche l’humble genre populaire qu’elle était ; il ne songea pas plus que Socrate à se faire une réputation d’écrivain. Tandis que les écrivains de son temps estimaient que le vers seul était capable de porter leurs œuvres jusqu’à la postérité, lui dédaigna la forme poétique, il se borna au langage de la prose, et de la prose parlée ; car il est à peu près certain qu’il n’écrivit aucune de ses fables.

Les Fables d'ESOPEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant