Vous avez un nouveau Message

3 0 0
                                    

Tu m'as appelé.e vers vingt-deux heures, je crois. Je sortais du cinéma, je n'avais pas vu ton appel. J'avais vu un truc un peu naze, sorte de film pseudo-intello qui se la joue intellectuel. Je marchais dans les rues et j'ai écouté ton message. J'ai dû l'écouter quatre fois. Peut-être cinq. Je ne l'ai pas supprimé tout de suite. Je voulais pas. Je l'ai écouté une fois en marchant, une deuxième fois cigarette aux lèvres, la troisième fois je me suis assis.e, la quatrième j'étais quasiment chez moi, et la cinquième et dernière fois j'étais déjà sur une chaise en train de me toucher. Je la voulais vraiment, ma chaise, la cinquième fois. Ta voix. Ce que ta voix me manque. J'entendais tout, tout de toi dans ce message. D'abord, ta respiration, avant que tu ne prononces le premier mot. Une inhalation profonde, forte et parfois difficile, tant tu étais enivré du tabac qui t'irritait la gorge. Tu n'as pas parlé. Tu as juste soufflé. Tu devais avoir peur. Peur de m'infliger ce que tu allais me dire. Tu sais, tu peux tout me dire. Quand tu me parles, tu as beau me dire n'importe quoi, tout résonne comme du miel. Ton miel me manque. J'adorais appeler ça comme ça. Oh, ça va, je peux bien parler de ton miel un peu, non ? Tu avais bon goût, tu sais, quand on pouvait encore, enfin, tu vois.

Je m'étais donc installé.e à mon bureau, buste face fenêtre. Je l'avais préalablement entrouverte. Je n'avais allumé aucune lumière, m'étais juste contenté.e du halo doré du lampadaire sur ma poitrine. Tu as respiré à nouveau. Bien que je ne t'écoute qu'avec ce combiné, j'avais presque pu croire que tu étais là. Juste à côté. Tu as commencé à parler. J'ai gardé la face. Il fallait. Je te devais bien ça. Alors, face à la fenêtre, j'ai souri. Le message était long, ou devait me paraitre long. Quarante secondes, cinquante ? Tu parlais naturellement, même si c'était difficile pour toi de m'annoncer cette nouvelle, abrupte. Je l'avais toujours su, mais je n'ai rien fait. J'aurais dû prévoir. Sentir que tu allais me quitter soudainement. Je pensais toujours que se voiler la face valait mieux qu'affronter une bonne vérité. Pleins phares. Pleine face. Mais j'ai gardé le sourire. Au fil de ton message, j'ai gardé les dents dehors.

Je me suis dit que j'aurais dû te répondre quand j'ai senti mon téléphone vibrer dans ma poche au cinéma. J'ai hésité à sortir. Mais le film touchait à sa fin. Enfin, c'était ce que je pensais. Je me suis farci.e quarante minutes de plus. Quarante minutes de fin de film contre quarante secondes de ta voix. Tes dernières paroles pour moi. J'ai repensé à la dernière fois que ton miel avait coulé en moi, aussi. J'ai ri devant cette image. Devant la situation, elle me paraissait inappropriée, mais je me suis quand même touché.e ! Cinquième écoute, main dans le pantalon, ceinture sur le sol. 

J'ai fait comme ça, tu vois. Puis comme ça. Enfin, non, tu ne peux plus voir, t'es parti. J'ai fini sur le sol, essoufflé.e. Penser à toi, c'était comme ton miel, ou celui du petit-dej, ça collait. Mes doigts collaient. J'avais faim, alors j'ai léché. Il y avait des restes de ton goût sur mes doigts. J'ai sucé mes doigts. Longtemps. Et fort, en plus. J'ai aspiré mon index si fort que j'ai cru que ma peau allait se déchirer. Ou que j'allais perdre mon doigt. Je pensais pas qu'on pouvait se faire aussi mal en se suçant. J'ai dû te faire mal, non ? Parce que des fois, je me contrôlais pas. Je mesurais rien. Ni mon doigt, ni toi. J'avais peut-être la démesure de ce que j'éprouvais pour toi, mais tu me rassasiais, alors qu'est-ce que j'y pouvais ? Tu vas pas te mettre à m'en vouloir. Et commence pas non plus à me détester à cause de la trente-troisième seconde de ton message ! Oui, là, j'ai commencé à pleurer, mais je te dis que j'ai gardé la face ! Je souriais ! Je te jure que je souriais, putain ! Mais pourquoi tu m'as fait ça ? Tu penses pas que je vais basculer, moi aussi ? Tu crois vraiment que j'ai envie de vendre l'appart ? Retourner chez ma mère ? Arrêter d'aller chez le traiteur ? Dans le magasin bio ? Je vais quand même pas devoir revendre tous mes thés détox, merde ! Bah ouais, je pense à des détails insignifiants, là, tout de suite, comme par exemple me dire que je récurerais plus ta merde dans les chiottes ou que je viendrais plus t'engueuler parce que tu t'épiles toujours à côté, mais tu crois que j'ai vraiment envie de t'écouter une sixième fois ? Allô, oui c'est fini, tu peux évidemment garder mes affaires, bla-bla. Bah non, viens les chercher tes affaires, je t'en supplie, viens les chercher. Je t'en supplie, viens chercher tes affaires ! Tes affaires n'attendent que toi. Je peux les respirer, les lécher, les avaler même s'il le faut mais tes pulls ne me vont pas, tes chaussettes non plus, encore moins tes jeans ! Alors je te supplie de venir récupérer tout ça. J'aurais même pas le coeur de les revendre, je te jure que j'y arriverais pas ! Je n'y arriverais pas sans toi. Je m'en fous je te rappellerais pas.

Viens. Viens récupérer n'affaires. Voilà que je me mets à parler comme un.e raté.e. On dirait que je parle au chien. N'amour. N'affaires. Nini. Ferme-là. Contente toi de sourire à la fenêtre. A mon tour j'ai inspiré sans parler. J'ai regardé la lune dans le ciel et je me suis imaginé.e sur une autre planète. Il me fallait une autre distraction. Mon téléphone sonne. Bouton rouge ou bouton vert ? C'est super pratique ça. J'ironise, hein. Un bouton rouge ou un bouton vert. C'est quand même vachement culpabilisant. Le bouton vert pour décrocher, vert, couleur verte, t'es gentil.le, t'es clair.e, tu inspires la nature, les foulées dans l'herbe chaude à rire en dévalant une colline comme un.e gamin.e, t'es écolo aussi, t'inspires l'air frais, la rosée, la bonne petite vierge quoi. Si tu décroches, voilà, c'est vert, feu vert, tu es quelqu'un de bien. Tu refuses l'appel sinon ? Tu prends le risque d'appuyer sur rouge ? Le bouton rouge ? On t'a pas dit petit.e de ne jamais appuyer sur le bouton rouge ? Tu n'as jamais vu dans tes dessins animés qu'un bouton rouge était synonyme de malheur ? Quand ils désamorcent la bombe dans les films, tu vois bien, ils débranchent toujours le fil vert. Jamais le rouge. Le rouge c'est la colère, la honte, le refus, le désir le plus sombre, presque masochiste. Tu es masochiste, toi ? T'es fier.e, en plus ? Appuyer sur rouge, c'est prendre le risque de tout perdre. De vexer la personne. La mettre en colère. Vert et son visage s'illumine : tu fais toujours parti.e de ma vie. Rouge et la face se décompose : elle refuse mon appel, elle ne veut plus de moi, elle n'a jamais voulu de moi de toute façon. Moi, je préfère laisser sonner. Ni rouge ni vert. Vide. Laisser du vide. Fixer l'appareil mais laisser le vide. L'attente de l'autre côté. Et ici, l'attente que l'appel passe. L'autre croira toujours que je suis occupé.e de toute façon, que mon téléphone est loin de portée, sans doute même à des kilomètres. Flash info : tout le monde est avec son téléphone, aujourd'hui. Alors pourquoi je n'ai pas été foutu.e de répondre au cinéma ? Pourquoi je t'ai laissé attendre ? Il n'y avait personne dans cette salle en plus. Quarante sièges, tous vides. Sièges qui pleuraient de n'avoir à sentir les trous de cul de personne. J'aurais dû quitter le mien de siège quand j'ai vu que c'était toi qui appelait, mais je me suis contentée de pleurer en regardant une scène de cuni toute fadasse. Je suis sorti.e de la salle les yeux rouges et vitreux. Je savais. C'était le grand jour. Tu avais enfin décidé de partir de ma vie. Le vigile a dû croire que le film m'avait bouleversé.e. Je l'ai vu regarder le nom du film que je venais de voir. Il a haussé un sourcil. Comment peut-on pleurer dans la salle 1 ? Après, il m'a oublié.e. Occupation du jour, puis hop, disparu.e. Rayé.e.
Je n'ai donc pas répondu à l'appel. L'autre appel. Pas celui du ciné. On m'appelle encore. C'est la même personne. A chaque appel, je me laisser tomber de mon fauteuil. Au sol m'apparait une piscine froide dans laquelle je m'enfonce peu à peu, n'osant pas y aller d'un seul coup. Je tombe. Tombe. Je sens mes vertèbres quitter peu à peu le moelleux de la chaise. Mes jambes se plient. Mon dos est à l'endroit où on pose son cul. Puis ma tête. Je pense aux sièges de ciné qui aimeraient peut-être voir des cheveux de temps en temps, plutôt que des fesses. Je vois le plafond. Je rêve ou certains endroits sont noirs de crasse ? Pas le temps d'y faire plus attention. Je suis allongé.e sur le sol, je vais me noyer si je continue à rester là, mais je m'en fiche. Je pourrais même arrêter de respirer, elle me rappelle trop ta première inspiration. Et parce que je suis masochiste, je me suis relevé.e. J'ai fixé mon téléphone. Je l'ai porté à mon oreille et j'ai regardé la lumière du lampadaire. Elle me rappelait le soleil, les étoiles. J'ai dit « Ecouter à nouveau » et la voix automatique m'a rassurée. Elle n'a pas prononcé « vous écoutez ce message pour la sixième fois ». Ces voix électroniques doivent être témoins de pleins de secrets, mais elles savent les garder. Elles savent garder les secrets et ne pas venir en aide quand nous en avons le plus besoin. Elles savent se rendre invisibles. A ce moment précis, j'ai rêvé de devenir une voix enregistrée. Devenir immatériel.le. Mais déjà, j'entendais ta première respiration. Trop tard pour raccrocher ou dire effacer.

NOIR

On entend une inspiration, puis un souffle, puis une nouvelle inspiration et une voix. Grave. L'enregistrement doit durer entre quarante et cinquante secondes :

« Oui. Enfin, je... tu sais qui c'est. Je voulais que tu sois la dernière personne à qui j'allais parler. Je ne sais pas trop ce que je fais, mais sache que je suis totalement conscient de mon geste. J'ai calculé, il passe dans deux minutes. J'espère, quoi. Parce que je veux pas revenir en arrière. Simple, brutal et violent, comme nous. Vite. Vite.

On entend, en fond, un bruit de train qui arrive.

Ok, bon, c'est là, c'est maintenant, je voulais juste te dire que tu es la personne que j'ai le plus... »

Le bruit du train est au maximum envisagé. Lorsque le train s'éloigne petit à petit, on entend un bip qui signifie que l'appel est terminé.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : May 08, 2020 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Cahiers BrefsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant