Chapitre 2: Memories

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Minuitvenait de sonner ses douze coups mélodieux dans les rues désertesdu village. Seuls les cris des corbeaux charognards déchiraient lesilence morbide. Quelques feux brûlaient encore, laissant desbraises rouges écarlates fendre l'obscurité. Mais revenons dansnotre petite maison.
Cela faisait au moins deux heures que Maudse tournait et se retournait dans ses draps, la peur au ventre.Heureusement pour elle, son mari avait le sommeil lourd ! Elle sestoppa enfin et décida de s'asseoir dans le lit. En face d'elle, lajeune femme regarda son reflet. Sous ses yeux on pouvait déjà voirdes cernes se dessiner, et son teint pâle la trahissait. La boulequi s'était formé dans son ventre en début de soirée ne l'avaitpas quitté. Pendant le dîner, elle s'était imaginée les piresscénarios concernant ce masque qu'elle maudissait. Et si lesmédecins n'avaient pas nettoyé le masque afin que sa fillecontracte la peste, et ainsi voir la réaction de la jeune femme ? Aufond d'elle, elle savait que ces hommes connaissaient son secret.Elle baissa alors les yeux vers le chasseur endormi, et, malgré sapeur, elle ne pouvait pas lui en vouloir d'avoir offert ce présent àson enfant. Cet homme, en qui la jeune femme avait donné toute saconfiance et son amour ...
Mais il ne le remplacerait jamais LUI... En regardant au loin la forêt, un doux souvenir lui revint enmémoire ...

Maudse revit à cette journée d'été, où une pluie chaude s'abattaitdans la forêt, laissant entrevoir les rayons du soleil entre lesbranches. Et c'était dans cet endroit si magique que la jeune femmepartageait une danse avec l'homme qu'elle avait aimé.Malgré leurs différences, elle l'avait choisi Lui,et Il l'avait choisis. Le chant mélodieux desoiseaux donnait la cadence à leur danse harmonieuse, et, sous leslarmes d'un saule pleureur, les deux amants finirent leur danse encollant leurs corps brûlants d'un amour passionnel pour finalementsceller leur union dans un baiser tendre et langoureux. Sur leruisseau coulant prêt d'eux se posa une plume blanche, délicate,pure, et en son cœur se déposa une cendre, noire comme les ténèbres, dangereuse. Et pourtant, la cendre ne brûla pas laplume. Au contraire, elle se laissa bercé par les mouvements del'eau provoqué par la pluie. Afin de se souvenir à jamais de cejour, Il grava dans la chair de cesaule pleureur un oiseau aux ailesenflammés, à l'allure si noble, mais aussi tellementdangereux ... Les deux amants laissèrent ainsi la trace de leursamour à cet endroit, puis le quittèrent, main dans la main.

Lereflet de ce souvenir s'estompa peu à peu, comme le brouillard aulever du soleil. Maud dût faire face à son reflet, à son visage sifatigué, attristé. Lentement, elle se leva du lit, replaça le drapavec précaution, ne voulant pas réveiller Jack. Elle attrapa d'ungeste vif le long manteau noir qui était poser sur la chaise,l'enfila, quitta la pièce et descendit les escaliers sans aucunsbruits. Si son époux ou sa fille se réveillait, c'était fichu,elle serait harcelée de questions.
Arrivée à la dernièremarche, elle prit soin de placer la capuche de son manteau, puis sedirigea vers la porte. Sa main s'approcha de la poignée, mais sestoppa nette. Avait-elle vraiment le courage de sortir, elle quiévitait le plus possible les sorties, pour revoir une nouvelle foiscette gravure au bord du ruisseau ? Gravure devenu blessure en uninstant, qu'elle cherchait à guérir depuis douze ans déjà ...Lentement, elle tourna la poignée dorée, ouvrit sans aucuns bruitscette dernière et quitta la demeure.
Les rues étaient calmes,et seuls les derniers crépitements des bûchers se faisaiententendre. D'un pas lent mais assuré, Maud se dirigea le cœurpalpitant vers le ruisseau. Et si Il avait détruitl'arbre sous l'effet de la colère ? Si un bûcheron l'avait couperafin d'alimenter les bûchers ? La jeune femme n'osait y penser. Elleavait le cœur lourd, l'esprit embrumé, mais plus que tout, ellevoulait revoir une dernière fois cet endroit, comme pour lui donnerun ultime au revoir.
Dix minutes passèrent. La forêt étaitpaisible, seul le bruit des quelques insectes présent faisaientrésonner leurs bruits, des lucioles semblaient éclairer le chemintels des feux-follets. Oui, malgré la vision d'apocalypse danslaquelle Maud avait sombrer avec sa famille, il restait en ces terresun havre de paix, une zone pure, où la mort n'avait pas encorefaucher de vie.
La jeune femme avança jusqu'au ruisseau, lesjambes tremblantes, et lentement, elle posa sa main sur le saulepleureur, taillé par une marque d'amour désormais lointaine. Étrangement, la mousse de l'arbre n'avait pas affectée l'entailledans l'écorce, au contraire, elle l'avait entourée, comme pour laprotégée de tout les dangers. Etait-ce là un message divin pourMaud ? Elle n'en savait rien, et ce n'était pas ce qui l'inquiétaitle plus. Son regard triste se posa lentement vers le ruisseau,faiblement éclairé par l'astre lunaire, déjà bien haut dans leciel.
Maud s'assise au bord de l'eau, repliant ses genoux contresa poitrine et déposant sa tête contre ces derniers, sans quitterdu regard l'oiseau enflammé de l'arbre. Ses pensées se bousculaientdans sa tête, la jeune femme se sentait perdue. Qu'allait-il advenirde sa fille si elle quittait ce monde ? Jack trouverait-il la forced'élever sa fille malgré son absence ? Ou pire, où irait Yumi siils disparaissaient tout les deux ?
La femme aux cheveux blancseu un frisson des plus désagréable, celui qui vous glace le sang enun instant, et qui vous brise le cœur. Elle serra les poings, tenantfermement entre ses doigts le tissu de son manteau, tandis qu'uneunique larme roula sur sa joue. Elle ne pouvait pas se permettre deperdre les deux personnes qui étaient devenues si importantes à sesyeux. Il allait lui falloir beaucoup de courage, de force, etdétermination pour garder sa famille en vie, et elle le savait.
Seulement... Depuis douze ans, elle n'avait cesser de se battre,d'agir comme une femme exemplaire et normale, de retenir ses larmeslorsqu'elle voyait sa fille agir comme Lui, de prierles Dieux afin qu'ils protègent sa famille. Et pourtant, Maud sesentait encore en perpétuel danger. Depuis son arrivée au village,elle ne faisait confiance à personnes, que ce soit au prêtre, àses voisins, aux marchands, mais encore moins aux médecins.Lorsqu'elle tombait malade, elle faisait en sorte de se guérirseule, par n'importe quels moyens, plutôt que de se laisser ausculterpar ces personnes qu'elle haïssait.
Une seconde larme coula, etson corps se mit à trembler. Et durant ces treize années, qu'est-cequ'Il était devenu ? Le père biologique deYumi. Depuis l'annonce de sa grossesse, Il n'avait plusdonner de signes de vie, plus une seule visite sous ce saule. Alors,la jeune femme pensa, non sans un pincement au cœur, qu'Ils'en était retourné chez lui, bien loin d'ici. Avait-Ilreconstruit sa vie comme Maud l'avait fait ? Avait-Ilun enfant que, cette fois, il désirait avec une autre personne ?Etait-Il... Heureux ?
Le cœur de la jeune femme sebrisa, et les larmes se mirent à rouler d'elles mêmes le long deses joues. Dans la nuit et le silence de la forêt, on entendait plusque ces sanglots. Les rares chasseurs, qui purent croiser Maud lorsde ses sorties nocturnes près du ruisseau, et qui entendaient sespleurs, leurs avaient donner un nom. Ils les appelaient "Lespleurs de l'Ange".

Yumi Naoko et Bloody Amaya, les originesWhere stories live. Discover now