Chapitre 5 - Spencer

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Mes sourcils se froncent aux premiers rayons du jour. Si je peux m'affirmer heureux d'avoir dormi d'une traite, j'éprouve une sensation bizarre à l'idée de ne pas savoir comment j'ai atterri là.

Tout porte à croire que tu n'as pas su te contenter d'un verre...

Mon corps ankylosé a bien investi un canapé, mais celui-ci est un poil plus ferme que d'habitude. Et en interrogeant la décoration alentour, je reconnais le cadre chaleureux d'une maison familiale.

Aux antipodes de la guérilla urbaine qui se joue dans l'intimité de ton appart !

– Il prendra quoi, ton ami, au petit-déjeuner ?

Une odeur de toasts mêlée à celle du bacon frit.

Je me serais rué vers la cuisine attenante si cet estomac ne m'avait pas précédé dans les montagnes russes.

Foutue gueule de bois !

Mes phalanges blanchissent sur le rebord de l'assise. J'aurais dû y songer à deux fois avant de me relever aussi vite. Une remontée âpre de vieille vinasse titille ma gorge et ma langue afin de rendre la situation encore plus incommodante.

J'espère que tu n'as pas liquidé ta paye pour les sourires de cette barmaid aguicheuse...

– La même assiette que moi. Spencer est tout sauf difficile.

C'est censé être un compliment ?

Mes jambes soulèvent maladroitement l'épave que je suis devenu. J'arrive à peine à me souvenir où se trouvent les toilettes. J'aurais du mal à continuer de les regarder en face si je venais à dégobiller sur leur tapis. Cet état végétatif en devient presque flippant. Je rappellerai à ce bon-entendeur d'éviter de me laisser autant picoler. Surtout s'il se remémore dans quelle galère nous nous étions retrouvés après notre dernière beuverie...

– Ouh là ! Du calme, mon pote !

Il réduit l'ensemble de mes efforts à néant en me renvoyant goûter la banquette.

– Repose-toi au maximum. Une dure journée nous attend.

– Parce que tu penses vraiment que je vais me rendre à la prison la tronche dans le cirage ? Avec un peu de chance, ils en profiteraient même pour me dénicher une place en cellule.

– Je t'avais pourtant prévenu. C'est mauvais de boire autant.

– Et, pourtant, tu m'as laissé faire. Dis-moi, au moins, que je ne me suis pas ruiné avec ce whisky bon marché...

– Ruiner ? Le mot est faible. Il va plutôt falloir que tu vendes ton logement !

Si son clin d'œil ne m'avait pas percuté au vol, j'aurais presque pu croire qu'il était sérieux. Pour m'achever, j'interrogerai le solde de mon portefeuille plus tard. Au point où j'en suis, j'aspire seulement à pouvoir recharger ma carte pour la cafétéria.

– Patiente une petite seconde, je t' apporte de quoi déjeuner.

– Je n'ai...

– Bacon et œufs brouillés, tu aimes ça ?

– ... pas...

– Oh ! Mais quelle question stupide ! Tout le monde aime ça !

– ... faim...

Holden s'est embourbé à l'intérieur de ce monologue stupide sans même faire attention à ma négation. À l'instant où mes paumes recouvrent mes yeux, j'ignore si j'ai simplement envie de pleurer ou bien de hurler.

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