Traqueur [Début disponible seulement]

Chapitre 1 : Serment

Ce soir. Ce soir marquerait le début de sa carrière de Traqueur. Ansfried s'assura une nouvelle fois que sa tenue officielle était prête. Le contraire eut été étonnant, tant il avait passé ces derniers jours à se préparer. Entretenir sa cotte de mailles, vérifier chaque anneau, chaque rivet. Chasser le moindre pli du tabard azur brodé d'argent, aux couleurs de la reine. Cirer une dernière fois ses bottes de cuir. Derrière des gestes calmes et précis, le jeune homme refrénait son impatience.

Depuis trois ans maintenant, il suivait ses mentors sur les routes, afin d'apprendre le métier de Traqueur. Courir à en perdre haleine, installer un bivouac à la nuit tombée et, surtout, repérer les traces humaines. Combattre et capturer ceux qui osaient traverser la Frontière, voilà quel était devenu son quotidien. La souveraine avait fait de cette guilde l'une de ses plus grandes forces. Ces combattants d'élite devaient permettre de protéger le royaume d'une potentielle invasion et, de façon plus modeste, empêcher le braconnage à l'Est du territoire.

L'adolescent, déjà musclé par les années d'entrainement à l'épée, avait laissé place à un jeune homme de seize ans, bien bâti, capable de courir sur des lieues sans s'arrêter. Les Traqueurs étaient connus et craints pour cette faculté remarquable, presque magique, qui leur permettait de chasser le plus rapide des humains.

Ansfried inspira, ferma les yeux, et se força à se calmer comme le lui avait appris son père adoptif. Se maîtriser en toutes circonstances. La cérémonie allait bientôt commencer. Pas question d'être en retard ! En plus d'être officiellement nommé Traqueur, il découvrirait son partenaire de travail. Il espérait quelqu'un de consciencieux et travailleur. La Frontière ne tolérait pas la médiocrité et prenait bien trop souvent la vie aux imprudents. Se voir adjoindre un acolyte mal assorti pouvait se révéler mortel. 

Sur une chemise propre, le jeune homme revêtit un gambison léger, sa cotte de mailles, ceignit sa ceinture de cuir où pendait une épée de facture simple, mais toujours affûtée. Il passa une main rapide dans ses cheveux courts, afin de replacer quelques boucles brunes qui s'étaient égarées et serra la médaille de ses parents qui pendait autour de son cou afin de demander leur bénédiction. Il était prêt, il le savait. Cette certitude n'empêchait pourtant pas son ventre de se nouer. Sur une dernière inspiration, il jeta un ultime regard au dortoir qu'il avait partagé pendant trois ans avec les autres apprentis. Une page se tournait. Il partit d'un pas vif vers la salle de cérémonie.

La presque totalité de la guilde se trouvait là, en habits d'apparats, noyant l'immense salle sous l'azur et l'argent. Hommes et femmes, sans distinction, conversaient, emplissant les lieux d'un brouhaha assourdissant, amplifié par la voûte. Ansfried descendit les quelques marches et tenta de repérer les autres apprentis qui, comme lui, devenaient Traqueurs en ce jour. Il les connaissait, bien entendu, mais ne s'était jamais vraiment lié à eux, autrement que pour échanger quelques plaisanteries. Ses compagnons étaient à son goût trop frivoles, plus intéressés par les sorties à la taverne que par l'entrainement. Pourtant, il était le plus jeune : il était rare qu'un apprentissage se termine en si peu d'années.

- Alors, le p'tit ! Pas trop nerveux ?

Ansfried fit volte-face pour découvrir un colosse au sourire gentiment moqueur. Luk était devenu Traqueur l'année d'avant, à l'âge de vingt ans, comme la plupart d'entre eux. Il n'avait cessé de taquiner son cadet en l'appelant le gamin, le gosse, ou n'importe quel autre surnom insistant sur son jeune âge. D'abord vexé, Ansfried avait répliqué en le battant à plate couture lors d'un duel amical. Luk s'était incliné de bonne grâce. Le petit était prometteur. Depuis, il n'avait cessé de l'embêter, mais Ansfried avait compris que c'était une façon de montrer son affection.

Il sourit à son tour et se permit même une tape sur l'épaule :

- Jamais, le vieux ! J'ai attendu ce jour toute ma vie ! Mon heure de gloire a sonné !