Chapitre 6

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Un air dissonant agressa les tympans de l'homme lorsqu'il pénétra dans l'établissement. Bien qu'habitué à de plus douces mélodies, il devait bien admettre que la cacophonie qu'ils osaient nommer musique était en parfaite adéquation avec l'ambiance de la taverne. C'était un de ces endroits abjects où les mercenaires et les truands se réunissaient une fois la nuit tombée. Sur la piste, les corps se choquaient et se frottaient, réalisant les mouvements désarticulés d'une danse aussi étrange que le vacarme qui la rythmait. En périphérie, des tables et des chaises au bois miteux étaient disposées afin d'accueillir les personnes déjà trop alcoolisées pour respecter une chorégraphie. Et depuis son bar, le tavernier dépouillait un à un ses clients, versant dans leur verre une piquette qui ne valait probablement pas le prix à laquelle il la vendait. Ainsi, tout semblait avoir été mis en place pour alimenter la sensation d'insécurité et l'atmosphère oppressante qui flottait dans l'air. En somme, ce lieu n'inspirait que du dégoût au Justicier qui se faufilait déjà pour trouver une place assise. C'était donc l'endroit idéal pour que son invitée et lui puissent discuter sans être repérés.

Nail avait fait la rencontre de Moniléca plusieurs années auparavant. Tous deux membres de la prestigieuse Lame Sacrée, il l'avait avant tout prise comme équipière afin de calmer les tensions au sein de l'Ordre religieux. Le caractère rebelle et survolté de la jeune recrue avait eu raison de la patience de bien des Justiciers à l'époque, si bien que plus personne n'acceptait de travailler avec elle. Le Conseil ne cessait de la réprimander et Cyntheude avait sûrement perdu la majorité de ses cheveux à force de lui crier dessus. Nail, lui-même, avait parfois regretté de s'être porté volontaire lorsque Moniléca n'en faisait qu'à sa tête et l'entraînait dans des situations épineuses. Ce qui évidemment, était arrivé bien trop de fois. Mais malgré cela, il avait toujours pu compter sur elle dans les moments difficiles. Avec le temps, il avait alors appris à supporter le tempérament bourru de sa jeune partenaire et à apprécier la naïveté qui se dégageait d'elle. Et à sa grande surprise, il avait même fini par la considérer comme une petite sœur. C'est donc ainsi que les deux Justiciers avaient fait équipe toutes ces années ; du moins jusqu'au jour où ils avaient rencontré Jyhann.

Chaque année, la Lame Sacrée avait pour habitude de proposer aux novices un stage en immersion totale. Ces derniers se voyaient donc attribuer une équipe de Justiciers confirmés avec laquelle ils accomplissaient une mission officielle. On ne leur demandait jamais rien de trop compliqué ce jour-là, l'exercice visait avant tout à exposer aux premiers cycle la réalité du quotidien qui serait bientôt le leur. Ainsi, Nail et sa partenaire avaient fait la connaissance de celle qu'on appelait la "fille à la lance". Elle était débrouillarde et plutôt rusée, mais également dépourvue de toute discipline. En un sens, la jeune fille lui rappelait Moniléca à ses débuts. Mais contrairement à Jyhann, son équipière ne s'était jamais alliée à une sorcière, elle. Après tout, peut-être que la jeune fille elle-même en était une. Seule une créature des ténèbres pouvait arborer un regard dépareillé avec autant de désinvolture. Au final, la mission n'avait certes duré qu'une journée, mais elle avait eu des conséquences désastreuses sur les carrières de Nail et Moniléca.

- Tu sais, Nail. Quand tu m'as parlé d'un lieu plus sûr pour discuter, je m'attendais à un lieu... plus sûr en fait ! C'est un repaire de brigand, ici.

L'homme chassa l'amertume de ses pensées et s'installa à une table libre avant de répondre à son ancienne collègue.

- Justement, Moniléca. Crois-le ou non, mais tu ne trouveras pas d'endroit plus discret dans toute la Citadelle. Pourquoi les brigands viennent ici, à ton avis ?

Les deux amis s'esclaffèrent avec joie et profitèrent de ce rare moment d'insouciance pour renouer le lien que la distance avait altéré. Eux qui avaient passé des années à travailler ensemble sans prendre de vacances, cela faisait maintenant près d'un mois qu'ils ne s'étaient ni vus ni écrits. Et étonnement, Moniléca ne semblait pas avoir changé d'un poil malgré les transformations drastiques qu'avait connues son quotidien.

Les DesAstreux - Tome 2 : La Révolution FéminineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant