Chapitre 8

6 1 2
                                    

La discrétion était une vertu que l'on enseignait très tôt aux jeunes rexiviennes. La société ne portait que peu de crédit à leurs avis et le pays tout entier était organisé de manière à ce que le sexe féminin n'ait part qu'à très peu de débat. Sans cesse rabaissées par une mentalité phallocrate, il était important pour une femme de savoir rester à sa place. Place qui, naturellement, convenait de se trouver dans l'ombre de leur père ou de leur époux. Bien au chaud dans leur maison, elles abandonnaient l'apprentissage, la politique et l'économie à leur mari pour s'adonner à des tâches plus ingrates et souvent relatives au foyer ou aux enfants. Il arrivait tout de même quelques fois qu'un artisan peu fortuné emploie son épouse comme assistante ou vendeuse pour économiser de la main d'oeuvre, mais rares étaient les femmes qui vivaient de leur talent propre. Evidemment, cette façon de vivre seyait parfaitement à certaines d'entre elles, mais malgré ces quelques dernières, la plupart caressait secrètement le rêve d'une existence dont la prospérité ne dépendrait pas d'un pénis dans leur vie.

Mais pour les femmes qui s'introduisaient en silence dans la bibliothèque, cette situation prendrait fin aujourd'hui. Il était temps pour elles de sortir de l'ombre et de redéfinir la place que la société leur avait attribuée. Entièrement recouvertes d'un voile d'invisibilité, les deux affinitaires de la Brume s'infiltrèrent sans difficulté dans le bâtiment déjà rempli de jihälwois. La pièce n'était qu'une grande salle carrée où, depuis son comptoir, une hôtesse d'accueil répondait aux attentes des visiteurs. Ainsi, mêlées à la foules, les cinq spirites déguisées en femme de maison réalisaient le repérage des lieux tandis que leurs complices, invisibles, progressaient vers les étages supérieurs. La première faisait la queue au centre de la salle et la deuxième se reposait sur un banc un peu plus loin tandis que les trois dernières patientaient chacune devant une fenêtre. Et, reliées par les pouvoirs du Souffle, les unes restaient en contact avec les autres en communiquant sans un bruit leurs informations via leurs pensées partagées. L'opération "Tri Sélectif" pouvait enfin commencer.

Concentrée sur les messages psychiques que lui envoyaient les deux femmes depuis l'escalier, la spirite au milieu du hall d'entrée servait d'intermédiaire entre les deux équipes. Son rôle était crucial pour la suite de leur plan et elle réalisa sa tâche sans difficulté. Avançant au rythme de la file d'attente, elle avait attendu que les infiltrées aient atteint le dernier étage pour lancer son signal. Un cri silencieux résonna dans l'esprit des quatre autres affinitaires du Souffle et, parfaitement synchronisées, elles lâchèrent chacune une bille à leur pied. Les petites sphères roulèrent sur le sol de marbre avant de se fendre et de libérer un épais nuage de fumée. La panique éclata aussitôt et les jihälwois se ruèrent vers la sortie tandis le gaz se répandait dans toute la pièce. Seules les cinq spirites étaient restées calmes, usant de leur Affinité pour repérer les civils dans le brouillard. Les deux gardes étaient impuissants et rien ne put empêcher l'horreur de se produire.

Des cris d'effroi s'extirpaient du bâtiment dont les portes laissaient échapper des gerbes de fumées opaques. À l'intérieur, le minimalisme raffiné de la pièce s'était mu en une ambiance infernale où les femmes vengeresses décidaient de ceux qui vivraient et de ceux qui périraient. Et le tri s'effectuait sans pitié, déchirant couples et familles afin que tout être dépourvu d'attributs masculins soit évacué de cette antichambre de la mort. Mais pour les hommes au contraire, tout espoir de survie s'évaporait au moment les spirites les attrapaient. Profitant de la panique et du manque de visibilité, les femmes ligotaient leurs victimes, les forçant à demeurer au centre de la pièce. Et de leur côté, les deux affinitaires de la Brume avaient chacune sorti deux pierres qu'elle frottèrent l'une contre l'autre. Les ouvrages s'enflammèrent rapidement et les deux équipes de sorcières s'évanouirent dans la nature avant que l'incendie ne se propage à toute la bibliothèque.

La discrétion était imposée aux rexiviennes depuis bien trop longtemps maintenant. L'heure était venue pour le sexe faible de prendre la parole et de s'exprimer ouvertement. Bientôt, le gaz remonterait le long des escaliers pour atteindre les flammes qui consumaient les étages supérieurs. Et à ce moment, le cri de colère des femmes prendrait l'allure d'une explosion en pleine ville.

Les DesAstreux - Tome 2 : La Révolution FéminineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant