Le plus beau des vœux .

Déjeuner Au Purgatoire

11h56-12h17

   Si vous deviez réaliser un sondage auprès d'un groupe de collégien moyen en leur demandant quelle est leur matière préférée, 9 / 10 répondrai "le déjeuner" , même si ce n'est pas une vraie matière. Mais si vous me posiez la question à moi, je n'hésiterai pas à dire "sciences suivi juste après des maths" , principalement parce que c'est 30 minutes de pause déjeuner entre l'anglais et l'algèbre son mon pire cauchemar.
   Ma mère aime à dire qu'aussi difficile que soit une situation cela peut toujours être pire, et dans la plupart des cas c'est vrai. Au moins j'ai Dougall pour s'asseoir avec moi, et la plupart du temps Plum aussi*. Mais bien que manger sur un petit carré d'herbe devant la bibliothèque ne sera jamais aussi pathétique qu'enfourner à toute allure un sandwich dans le couloir devant les toilettes comme les losers du collège, le fait que je sois juste un cran au-dessus d'eux ne me rassure pas autant qu'on pourrait le penser.
   J'avais beaucoup d'espoirs en arrivant à Greentree. J'avais passé la plus grande partie de l'été à regarder des films pour ados afin de savoir à quoi m'attendre et je m'étais imaginé au milieu de la cafétéria avec Tinsley d'un côté et Ivy de l'autre. Au lieu de cela, j'ai été refusé à toutes les tables où j'ai essayé de m'asseoir. Même quand elle était quasiment vide, on m'a dit non avec des mouvements de tête et des yeux exorbités et je me suis demandé ce que les autres pouvait trouver de si répugnant chez moi pour qu'il me rejette au premier regard.
   Peut-être que je n'avais pas la carte pour la table des élèves populaires comme Tinsley, Ivy et Mac Turtledove, qui règne en maître depuis la maternelle, mais je portais des vêtements neufs, mes cheveux avaient l'air plus ou moins descends et je ne sentais pas mauvais. Alors quand Plum est apparu derrière moi en suggérant qu'on aille tous dehors et que Dougall a accepté, il est subitement devenu clair que mes amis était le problème, pas moi.                
   Dougall et Plum était peut-être fréquentable en primaire, mais maintenant qu'on est entré dans le monde des grands, je ne pouvais plus ignorer le fait qu' avec leurs fringues bizarre et leur goût  encore plus bizarres- comme l'amour de la lecture de Plum et les nombres théorie complotistes de Dougall- il m'empêchaient d'avoir la vie d'élève Populaire qui aurait dû être la mienne. Aussi longtemps que je continuerai à être ami avec eux, mes rêves de popularité ne se réaliseraient jamais.
   Si vous pensez que je suis dur, laissez-moi vous rappeler que le petit monde de la cafétéria est cruelle et sans pitié. Chaque table est comme un royaume du Moyen-Âge avec sa tête un dirigeant sanguinaire qui décide sur un coup de tête qui a le droit de s'asseoir ou pas. La plus petite infraction peut conduire au bannissement vers une table moins côté sans espoir de retour. Et si vous pensez que cela fait une place vide à remplir, vous vous trompez. Depuis un an et demi que je suis dans ce collège, je n'ai jamais vu quelqu'un monter dans la hiérarchie. Mais bientôt cela va changer et le trône sera à moi.
   En attendant, je n'ai pas d'autre choix que de me diriger vers ma propre Petite Sibérie, ce qui, sinon ne serait pas drôle, m'oblige à passer devant la table des élèves populaire.
   D'habitude je baisse la tête et j'accélère le pas, mais aujourd'hui je fais l'impensable : je m'arrête exprès là où on Mac Turtledove s'assoit et, même si mon cœur bat à cent à l'heure et que j'ai les aisselles moites, je trouve quand même le courage de le regarder droit dans les yeux et de dire :

- Profites-en tant que ça dure, Turtledove. Dans pas longtemps tu mangeras au purgatoire.

   Bon, d'accord, peut-être que je ne l'ai pas dit tout haut. Peut-être que je l'ai seulement dit dans ma tête. Mais quand même, juste de savoir que c'est vrai et une victoire en soi.
   Le problème, c'est qu'au lieu de me remettre à marcher je reste plantée devant lui comme le débile pour lequel ils me prennent. Je n'arrive pas à croire qu'ils continuent tous à parler et à rigoler comme si j'étais invisible (ce qui en passant serait assez cool comme super pouvoir) . Même l'homme invisible et visible de temps en temps. Pour eux, je n'existe même pas.
   C'est seulement quand Dougall s'approche de moi et il me dit " Nick, qu'est-ce que tu fais ?" que je me remets en marche vers le fond de la cafétéria, pousse la porte et me dirige vers le morceau d'herbe dégarni et marronnasse où tous les losers de Greentree se sont assis au fil des années*.
   Je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que Dougall va ressentir quand on va revenir des vacances de Noël et qu'il va se retrouver seul assis là où, pire, seule avec Plum, qu'il n'y a aucune chance que je puisse l'inviter à s'asseoir à la table des élèves populaire avec moi. Je me sens mal de lui faire ça. On est tellement habitué à manger ensemble. Mais même si je suis sur le point de devenir tout-puissant, il n'y a aucune chance que je puisse l'emmener avec moi s'il ne fais pas d'efforts . Pour que Dougall soit accepté par mes futurs amis, il faudrait qu'il change à peu près tout en lui, ses fringues, sa personnalité, qu'il devienne une personne complètement différente.

- Qu'est-ce qui t'a pris aussi longtemps ? Plum brandit un cupcake avec un glaçage rose pendant que son regard se pose sur moi. Tout va bien ?

   Je ferme les yeux et je lève mon visage vers les nuages, bien décidée à l'ignorer, ce qui me semble la meilleure option même si cela ne marche pratiquement jamais. Quoi que je fasse, elle insiste pour m'aimer d'une manière que je ne pourrais jamais lui rendre.

- Nick tentait de faire baisser les yeux à Mac Turtledove en le regardant dans le dos, dit Dougall en me montrant du doigt et en levant le regard au ciel.

- Ne t'inquiète pas, dit Plum d'une voix tellement sincère que cela m'agace encore plus, Mac n'a aucune chance contre toi.

  Dougall grogne et ouvre sa canette de coca. Quand je vois la mouche qui s'échappe est coule sur ses mains, je me dis que c'est une des raisons pour lesquelles je suis obligé de l'abandonner. Pas moyen de le nier, Dougall est un loser.

- Je ne comprends toujours pas pourquoi tu tiens à faire ça.

Il essuie ses mains sur son jean, complètement indifférent au fait qu'elles vont être collante pour le reste de la journée.

-Nick à un don, dit Plum en haussant les épaules comme si c'était un fait établi. Et quand on a un don, il faut le partager avec le monde.

-Tu parle, dis Dougall en renversant la tête en arrière et en rigolant, Nick essaye juste d'attirer l'attention de Tinsley Barnes.

   Je fronce les sourcils. Cela ne sert à rien que je m'explique quand on a clairement des ambitions et des visions différentes. Quand j'y pense, je ne sais pas comment on a pu rester amis aussi longtemps.

- Tout ce que je sais, c'est que Nick va les pulvériser dit Plum en mordant dans son cupcake. Il n'y a aucun doute.
  
   Elle finit sa phrase avec un sourire si grand que je suis pratiquement aveuglé à la vue de ses lèvres gercées et des morceaux de cupcake coincés entre ses bagues.
   Ce sont les bons mots dit par la mauvaise personne. Si ce genre de soutien venait de n'importe qui d'autre, mais vraiment n'importe qui d'autre, cela pourrait vouloir dire quelque chose. Peut-être même me donner plus confiance en moi, mais venant de Plum et bien cela me donne juste envie de partir. C'est peut-être la dernière fois qu'on mange tous ensemble, mais je ne vois aucune raison de prolonger l'inévitable.
   Je remets la moitié de mon sandwich dans mon sac à dos et je me lève.

- Tu vas où ? Demande Dougall en plissant les yeux. Ça a pas encore sonné.

  Encore cette sonnerie.

- J'ai besoin d'un peu de temps pour me préparer, je réponds en empruntant la phrase que Josh utilise toujours quand il s'éclipse un petit moment avant de monter sur scène.
   Plum hoche la tête comme si elle comprenait exactement ce que je voulais dire pendant que Dougall me regarde les sourcils le froncés comme s'il ne me reconnaissait pas.
   C'est comme ça que je les laisse, l'une hochant la tête, l'autre froncés les sourcils, pendant que je retourne à l'intérieur. Le plus drôle, c'est que je ne suis même pas tenté de me retourner pour leur dire au revoir.

3*- Si ça ne dépendait que de moi, Plum ne se serait pas avec nous. C'est totalement la faute de Dougall.

4*- Les jour de neige, on mange à la bibliothèque. Tant qu'on ramasse nos miettes et qu'on renverse rien, les bibliothécaires nous laissent faire.