Chapitre 2 - Mila

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Ça n'en vaut vraiment pas la peine.

Je me répète cette phrase dans l'espoir de m'en convaincre. Mais en voyant leur regard toujours aussi chargé de mépris, je sens ma nervosité repartir en flèche.

Inspire, expire.

J'essaie de me calmer. J'essaie vraiment. Ma raison et mon cœur s'affrontent dans un combat sans merci et, bien que je meure d'envie de leur dire d'aller au diable avec leurs potins à la noix et leur médisance, je me résigne car je ne peux pas me le permettre. Ma mère ne me pardonnerait pas d'avoir fait un scandale lors de cette soirée même si c'était pour défendre l'honneur de notre famille. Je finis par prendre sur moi car m'énerver leur donnerait raison, et je me souviens alors de cette recommandation que l'on m'a toujours inculquée : « L'ignorance est le meilleur des mépris. »

Ainsi, à l'issue d'un round durement mené, c'est finalement la raison qui l'emporte. Je déglutis et, après ce qui m'a semblé durer une éternité, elles daignent enfin quitter la pièce sans toutefois m'accorder un regard. Une fois seule, toujours aussi frustrée, je laisse mon corps aller contre la faïence froide du mur. Le rythme des battements de mon cœur ralentit péniblement et c'est encore remontée que je finis par m'avancer jusqu'au lavabo où je les insulte à voix basse, juste pour me soulager un peu. En passant mes doigts sous l'eau glacée, un frisson me parcourt l'échine. Je hais ces situations. Parfois, pour ne pas dire souvent, j'aimerais être née dans une famille où le paraître n'occupe pas une si grande place mais je suis une Lim-Sherman et chez les Lim-Sherman, soigner son image est primordial.

Je me souviens parfaitement de la première fois où j'ai dû gérer une situation similaire. Je fêtais mon dixième anniversaire entourée de mes proches et des amis de la famille quand, sortie pour prendre l'air après avoir couru partout dans le penthouse de mes grands-parents paternels, j'ai surpris la conversation entre l'associée de ma mère et une de ses autres amies. Les deux femmes étaient installées sur des chaises longues de la terrasse avec leur verre de vin qu'elles tenaient du bout des doigts. Sans faire de bruit, je suis restée cachée derrière un énorme pot de fleurs afin d'écouter ce qu'elles racontaient. À ce moment-là, je ne me doutais pas une seule seconde qu'elles diraient du mal de ma famille et notamment de mes parents. Au départ, je voyais juste ça comme un jeu où je me retrouvais plongée dans la peau de mon espionne préférée. Seulement, après quelques instants, la réalité m'a rattrapée et un mélange de déception et de colère s'est immiscé en moi en entendant les mots rudes qu'elles avaient à notre égard. Mais du haut de mes dix ans, je n'ai pas su quoi faire et je n'ai rien dit, me contentant de fuir en retenant mes larmes. Je me sentais horriblement mal pour ma mère qui se démenait et était trahie de la sorte par des personnes supposées être de confiance. Un peu plus tard dans la soirée, une fois tous réunis autour de la table, les deux femmes n'arrêtaient pas d'adresser de grands sourires à ma mère. Le lendemain, après avoir été témoin de cette hypocrisie, je n'ai pas tenu très longtemps et je lui ai raconté ce que j'avais surpris la veille. Sans rien laisser transparaître, elle m'a écoutée et, en l'absence de réaction de sa part, j'ai fini par penser qu'elle ne me croyait pas. J'eus ma réponse plus tard puisque ces deux femmes n'ont plus jamais remis les pieds chez nous.

Je détourne mon attention de ces souvenirs lointains et retiens une grimace lorsque mes yeux remontent vers mon reflet dans le miroir.

On a connu mieux comme image.

J'ai une mine affreuse et les spots lumineux qui m'éclairent n'arrangent pas mon cas. Tous les défauts de mon visage se retrouvent exacerbés et j'ai l'air plus pâle que jamais. Ce n'est pas compliqué, avec mon teint blafard, mes cernes creusés et mes lèvres sèches, on dirait que je suis malade. Je soupire de nouveau avant de me passer de l'eau froide sur le visage, espérant je ne sais quel miracle. Bien évidemment, comme je m'y attendais, rien ne change et j'en viens même à me demander si ce n'est pas pire qu'avant. J'attrape alors dans ma pochette le seul produit cosmétique que j'emporte partout et applique sur ma bouche une généreuse couche de rouge à lèvres d'une teinte proche de celle des pétales de coquelicot. Pour me rassurer, je me dis que si les gens se concentrent sur mes lèvres, ils ne remarqueront pas que le reste n'est pas digne de l'événement. Comme mes cheveux ne sont pas en meilleure forme, je démêle du bout des doigts ma chevelure noire de jais avant d'attraper deux mèches de mon carré et de les retenir derrière ma tête avec une pince trouvée au fond de ma pochette.

MILA - Tome 1 : Les vérités cachées Où les histoires vivent. Découvrez maintenant