MILA - Tome 1 : Les vérités cachées

Chapitre 3 - Mila

— Mila Lim-Sherman.

La voix hachée et stridente de ma mère résonne avec puissance dans mes oreilles mais, les yeux toujours rivés sur la direction prise par l'inconnu, je ne me tourne pas vers elle. Comment a-t-il pu s'éclipser aussi vite ?

— Sais-tu depuis combien de temps je suis à ta recherche ? poursuit-elle.

Je me hisse alors sur la pointe des pieds pour essayer de voir au-dessus de la foule. Retrouver quelqu'un de si petit au milieu de tous ces invités revient à chercher une aiguille dans une meule de foin. Mon regard se porte jusqu'aux ascenseurs au fond de la salle mais, déçue, je constate que personne n'attend devant. De toute évidence, il a déjà disparu.

— Mila, je suis en train de te parler !

— Et je t'entends ! je réponds après m'être finalement retournée.

Lui faisant désormais face, je ne mets qu'un centième de seconde avant de croiser son regard menaçant, celui qu'elle nous réserve tout spécialement, à mon frère et moi, quand elle s'apprête à nous passer un savon. Je ne compte plus le nombre de fois où elle nous a regardés avec cet air sévère qui donne l'impression qu'elle a dix ans de plus.

— Où étais-tu passée ? me demande-t-elle sans prendre la peine de dissimuler son agacement.

— J'étais juste là, dis-je en désignant du bout des doigts l'espace autour de moi.

— Ne te moque pas de moi, Mila, lâche-t-elle en baissant le ton pour ne pas être entendue des invités aux alentours qui commencent à nous prêter attention. J'ai passé un temps fou à ta recherche alors tu vas me faire le plaisir de bien vouloir me suivre. Nous sommes attendues.

La relation que j'entretiens avec celle qui m'a mise au monde peut parfois se montrer conflictuelle. J'aime profondément ma mère mais, avec le temps, j'ai réalisé que, si nous restons ensemble trop longtemps, nous finissons par nous disputer, comme si nous étions deux aimants de même polarité qui, malgré leur rapprochement, se repoussent inévitablement. Michelle Lim-Sherman aime l'ordre, son image et sa richesse qu'elle gère d'une main de maître. Moi, je suis le vilain petit canard de la famille, celle qui n'aime pas se plier aux règles, aux protocoles et à tout ce qui va avec. Nous avons beau nous aimer, je crois bien que nous sommes incompatibles.

— Dixie est sur le point d'arriver, je dois la rejoindre, protesté-je, espérant échapper à ce qu'elle est sur le point de m'annoncer.

Depuis le temps, je suis rodée : pas une soirée de charité ne se termine sans qu'un discours mielleux à souhait soit prononcé devant tous les invités. Même si la présence de toute la famille est requise pour donner une bonne image, dès que je le peux, je m'éclipse avant d'être traînée sur la scène. Toutefois, je sens que ce soir je ne vais pas pouvoir me défiler...

— Ce n'est pas mon problème, rétorque-t-elle aussitôt en secouant la tête pour appuyer son propos. Ton père et ton frère nous attendent à côté de la scène pour le discours de remerciement. On y va.

Je ne prends pas la peine de retenir ma grimace puis ajoute, en soupirant :

— Tu sais bien ce que je pense de ces discours.

Elle me regarde avec attention et, après quelques secondes de silence, elle se contente d'acquiescer de la tête. Néanmoins, je sais que sa compréhension ne changera strictement rien aux obligations qui me tiennent ce soir. Chaque fois, c'est la même chose.

Avant que je puisse m'échapper, ma mère empoigne ma main avec force et, à contre-cœur, je me laisse traîner. Le seul point positif qui ressort de cette situation est que je retrouve enfin mon frère qui patiente à côté des quelques marches qui mènent à la scène. Dans son costume trois-pièces, lui aussi aimerait être ailleurs, je le devine à ses doigts qu'il triture et au sourire de façade plaqué sur son visage. Mon frère excelle bien plus que moi dans cet exercice et, même si n'importe qui pourrait se laisser berner par son air parfaitement assuré, je sais qu'il n'est pas aussi à l'aise qu'il le laisse penser. Lorsqu'il me voit arriver, Connor me lance un sourire affectueux qui a le mérite de me réconforter légèrement.