New York, 29 octobre 1960
Dehors soufflait le vent glacial qui annonçait l'hiver. A l'intérieur de la maison familiale cependant, le foyer était allumé, le feu chauffait les résidents et les enfants piaillaient.
Pour l'occasion, toute la famille s'était réunie. Grand-mère Charmaine était aux cuisines avec sa fille et sa belle-fille, laissant les hommes discuter au coin du feu tout en gardant un œil sur les enfants, surexcités par les friandises promises plus tôt.
La maison familiale, d'habitude si silencieuse, était désormais emplie de vie et d'action. Dans son fauteuil, la petite laine sur les genoux, grand-père Paul somnolait à moitié, n'observant que d'un œil fatigué ses petits-enfants. Ayant fui l'Allemagne en 1938, il avait refait sa vie ici, en Amérique, où il pensait échapper à la guerre. Cependant, il avait été rappelé sous les drapeaux en 1942, où il avait réussi à se confiner à un job administratif vers les lignes arrières, échappant alors au front et à ses horreurs.
Désormais âgé de ses soixante-seize ans, Paul avait cependant conservé la carrure de ses jeunes années, mais s'était grassement enrobé, et il ne quittait désormais presque plus son fauteuil préféré. Ses enfants s'étaient mariés en Amérique et il ne restait de son héritage allemand que son nom, qui disparaîtrait avec lui. Il avait quelques regrets, mais au final, sa famille avait survécu et il savait qu'il devait beaucoup aux Etats-Unis.
- Papy, papy, dit Sam, le petit-fils, en s'approchant. Tu nous racontes une histoire ?
- Sam, dit son père. Laisse ton grand-père tranquille, il est fatigué. Désolé, papa.
- Laisse, Christopher, dit le vieil homme en retenant l'enfant. Tu veux une histoire ? Je vais t'en raconter, une histoire. Il était une fois...
- Papy, attends, l'interrompit le garçon sur ses genoux. On veut une histoire qui fait peur !
Les cinq autres enfants s'étaient rapprochés, formant un demi-cercle face à leur grand-père commun qui tenait toujours Paul sur ses genoux.
- Une histoire qui fait peur alors ? Très bien. C'est l'histoire d'une petite fille qui s'habillait tout de rouge. Aussi les gens l'appelaient-ils le petit chaperon rouge...
- Oh non, pas celle-là, protesta Joan, on la connait déjà.
- Ah bon ? Ah d'accord. Alors est-ce que vous connaissez celle du croquemitaine qui...
- Pff, bien sûr ! On est plus des bébés ! Raconte-nous en une autre. Une qui fait vraiment peur !
L'aïeul pesa lentement sa tête. Ils voulaient une histoire qui faisaient vraiment peur ? Il allait devoir innover alors.
Il s'enfonça un peu plus dans son fauteuil et tira sur sa pipe.
- D'accord. Alors... vous êtes grands vous m'avez dit hein ? Est-ce que vous avez entendu parler de... la Grande Guerre ?
À l'évocation de la guerre qui avait déchiré l'Europe, les yeux des enfants s'illuminèrent ; de cette guerre, ils ne savaient que peu de choses, sinon qu'elle n'avait pas eu lieu sur leur continent de naissance et qu'elle avait été assez terrible pour que la plupart des adultes n'osent pas leur en parler.
- C'est une histoire vraie ? demanda Joan des étoiles dans les yeux.
- Peut-être, dit le grand-père satisfait d'avoir toute leur attention. Alors ? Vous voulez écouter mon histoire ?
Bien que méfiants, les enfants restaient impuissants face à la promesse d'une histoire terrifiante. Leur attrait pour le morbide leur était aussi irrésistible qu'humain. Prenant leur mutisme comme un acquiescement, grand-père Paul se lança.
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War Stories : Osowiec
Short StoryNew York, 1960 Le spectre des deux guerres mondiales hante encore le monde. En ce soir d'octobre cependant, les petits-enfants de Papy Paul lui demandent une histoire qui fait peur. Ils ne vont pas être déçus.