Première rencontre

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Dernière année de Master en psychologie clinique et psychopathologie.

Je me souviens encore, comme si c'était hier, de ce moment où j'ai tout quitté. J'ai tout laissé, sous les protestations de mes parents pour me consacrer à ce domaine.

Bac à 15 ans, à 18 ans j'avais déjà obtenu ma licence en droit. J'étais l'enfant que tout parent rêvait d'avoir. Beau, intelligent et responsable. Je faisais leur fierté et suivais la voie qu'ils m'avaient tracée pour une seule raison, je ne savais pas ce que je voulais.

Tout le monde a une passion et donne l'impression que c'est facile de trouver la sienne.

"J'ai toujours aimé chanter"

"Je tenais déjà un crayon avant même de savoir marcher".

Je crois qu'on a compris que vous êtes géniaux, pas besoin de nous le cracher en pleine face à chaque occasion.

Moi, je n'aimais rien.

Pourtant, je faisais ce que j'avais à faire et le réussissais haut la main. Étant major de ma promo, mes parents sont d'autant plus tombés de haut quand je n'ai pas voulu faire mon master en droit privé.

Mais lorsque tu vois une personne sauter du haut d'un toit dans l'espoir de perdre quelque chose d'aussi précieux que la vie, ton regard sur le monde n'est plus jamais le même.

L'instinct de survie est le plus primitif des instincts chez tout être vivant. Comment en arrive-t-on au point où la souffrance est supérieure à l'envie de vivre ?

Je pourrais vous parler pendant des heures de mes motivations, de mon empathie beaucoup trop développée à ma grande sensibilité. Tellement de choses m'empêchant de continuer de voir des gens souffrir.

Mais je sais que vous n'êtes pas là pour ça. Vous voulez connaître son histoire, notre histoire.

Alors laissez moi vous la conter.

***

Je devais emménager dans un appart près du campus.

Assis dans ma voiture rouge, merveilleux cadeau offert par mes parents après l'obtention de ma licence en psychologie, je soufflai. La journée s'annonçait déjà être bien trop longue à mon goût.

Je sortis de ma voiture, levai la tête et c'est à ce moment que nos yeux se rencontrèrent.

Il était là, assis au rebord de sa fenêtre.

C'était un jeune homme à la peau pâle, dont l'aura manquait de lumière, au moins autant que ses cheveux couleur ébène.

On se regarda quelques instants, puis il disparut dans l'obscurité de sa chambre. Moi je ne bougeai pas, continuant de regarder la fenêtre qui n'offrait comme seule vision que des ténèbres. Ces ténèbres qui maintenant, me semblaient si attrayantes.

Qui était-il ?

Je ne savais pas.

- Mais qu'est ce tu fous planté là comme un idiot ? Bouge toi le cul, on a énormément de travail aujourd'hui.

Mon meilleur ami venait de me pousser par l'épaule, m'invitant par ce langage plein de douceur et d'amour à mener les derniers cartons à l'intérieur de l'appartement qu'on partagerait tous les deux.

- Qu'est ce que tu regardes comme ça ?

Il se tourna vers la fenêtre, absente de toute présence humaine.

- Rien...

Ce jour-là, je le vis pour la toute première fois.

***

Près de ma fenêtre, de laquelle j'apercevais sans problèmes ma voiture garée, mon regard fut une nouvelle fois attiré.

Une seule ruelle séparait nos bâtiments, son appartement au 4e alors que le mien était au 5e. En dirigeant mon regard vers cette même fenêtre, cette fois étant dans ma chambre, je l'aperçus une nouvelle fois.

La hauteur de laquelle je regardais ses appartements me donnait une vue nouvelle sur l'ensemble de la pièce.

Il venait de sortir de sa salle de bain, une serviette mal nouée au niveau de sa taille. Quelques gouttelettes glissaient sur son torse, et terminaient leur course sur le tapis près de son lit.

Il se dirigea vers son armoire.

L'ouvrant, il laissa tomber sa serviette à ses pieds.

Mes yeux s'ouvrirent en grand et je crus apercevoir sa tête légèrement se tourner vers moi. Je me levai donc brusquement, fermant la fenêtre dans un bruit bien reconnaissable et me dirigeai vers le salon.

M'avait-il vu ?

Je n'espérais pas.

- Des pizzas ça te dit, commença mon colocataire me voyant arriver.

Il se leva pour me toucher le front

- Tu es sûr que tout va bien ? Tu es aussi rouge qu'une tomate, tu as peut-être de la fièvre.

- Peut-être...

Fut tout ce que je pus articuler.

***

Les jours passaient et je continuais à le regarder de loin. Quelques fois je prenais un livre, me plaçais à la fenêtre et passais le samedi là, à attendre le moment où il me divertirait de sa présence.

Je ne savais rien de lui, même pas son nom. Tout ce que j'avais pu constater, c'est qu'il vivait avec une femme. Cette femme n'était pas assez âgée pour être sa mère mais beaucoup trop pour être sa compagne. Quoique... chacun ses préférences.

Quelques fois, un autre garçon plus jeune arrivait, faisait quelques jours avant de s'en aller.

Il lui ressemblait.

Je tournai une page de mon livre, attendant comme un gamin, que mon programme préféré ne passe à la télévision quand il serait rentré.

Je l'observais souvent.

Il semblait toujours perdu dans ses pensées, mais chaque fois que mes yeux croisaient les siens, ils avaient l'air de sonder mon âme.

Jamais il ne flechissait, jamais il ne baissait le regard. Nous nous regardions, quelques mètres séparant nos deux immeubles.

Il était devenu facile pour nous de reconnaître avec exactitude les différences de couleurs de nos yeux bercés par un ciel orangé ou assombris lors d'une nuit peu étoilée.

Nous avons vécu comme des étrangers pendant 3 ans. Et après tout, c'était ce qu'on était l'un pour l'autre.

Pourtant, je désirais le découvrir. Savoir qui il était vraiment derrière ce masque qu'il semblait tout le temps porter.

Et enfin, l'occasion s'est présentée.

Dépersonnalisation - JikookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant