Pape

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Pape récupéra le ballon du bout des doigts et le projeta dans un dribble contrôlé vers l'avant d'un large mouvement du bras, et courut en direction du panier adverse. Devant lui, des adversaires maillots rouges se placèrent sur sa trajectoire, l'un en avant, campé sur ses appuis, et deux autres un peu plus loin, alertes, prêts à bloquer son passage. Il ne pivota qu'au dernier moment pour esquiver l'adversaire lorsque celui-ci s'interposa, et d'un vif mouvement de jambes changea de trajectoire, passant le ballon dans son dos pour le réceptionner de la main gauche. L'équipe adverse ne se laissa pas surprendre, et aussitôt le numéro 1 fondit sur lui pour intercepter son dribble, que pourtant il récupéra de sa main sûre en tournant sur lui-même pour écarter le joueur. Dépassant à son tour le numéro 3 qui s'était placé juste devant lui, Pape bondit en repliant les bras comme pour tenter de marquer, mais devant son adversaire à la carrure encore plus imposante que la sienne, il s'abstint de tenter un tir qui n'aurait pas manqué d'être intercepté. Il poursuivit son mouvement en ramenant les bras vers le bas pour relâcher la balle rapidement par en-dessous en une passe vive à son coéquipier qui le suivait de près. Celui-ci réagit aussitôt, et, saisissant l'opportunité, il détendit ses jambes pour abattre le ballon dans le panier en un slam qui déclencha les clameurs effrénées du public. Un de leurs coéquipiers vint leur taper dans la main, et Pape hocha la tête avec satisfaction en regagnant le milieu de terrain. Le panier fut décisif, et c'est ainsi que son équipe atteignit la finale des playoffs de l'Euroligue.

***

En se rendant faire ses courses sous le soleil de mai, Pape se réjouissait du tournant que prenait sa carrière. Il se répétait souvent qu'il avait de la chance d'avoir pu faire son métier du basket, ce sport qu'il aimait tellement et auquel il avait dédié tant d'heures avant de rejoindre les grands clubs.

Le magasin était plus vide que ce à quoi Pape s'attendait, et conformément au règlement dans les endroits publics en cette reprise de la vie après deux mois de confinement sanitaire, nombre de clients portaient des masques, chirurgicaux ou en tissu, pour couvrir leur nez et leur bouche. Pape mit le sien, cousu par sa grand-mère et qui, ça l'avait contrarié au début, arborait des petites fleurs blanches. Il n'avait pas besoin de grand chose. Du riz, des poivrons, des fruits — surtout pas de fromage, n'en déplaise à sa mère qui en achetait à chaque fois malgré l'odeur et le goût atroce de ce produit fermenté — et des céréales pour le goûter de ses petites sœurs.

La file d'attente était des plus surprenantes. Toujours pour des raisons sanitaires, les clients patientaient en maintenant une distance de un mètre entre eux, et un tel scénario aurait semblé inenvisageable avant la crise. Pape, qui était d'un caractère très sociable et aimait sortir entre amis, déplorait ces mesures de distanciation et était ravi de pouvoir enfin sortir de la maison qu'il partageait avec ses parents, ses trois frères et sœurs et sa grand-mère paternelle.

Devant lui, un homme attendait avec un large caddie de courses et deux petits garçons qui comparaient fièrement des billes dans des petits filets.

"Regarde celle-là ! s'exclama le plus blond des deux, plus petit que son frère de quelques centimètres.

— C'est une œil-de-vipère, rétorqua son frère d'un air savant. Elles sont rares."

Les yeux du plus jeune se mirent à briller et Pape sourit devant cette scène qui lui rappelait ses propres jeux de billes avec son frère lorsqu'ils étaient en primaire.

Au sortir du magasin, le basketteur fut cependant interrompu dans ses pensées par un homme qui chancelait. Malgré les mesures de distanciation et son absence de masque — il venait de ranger le sien en sortant — il s'approcha de ce monsieur aux cheveux et à la barbe dans les tons roux au moment où celui-ci sembla tomber sur le mur.

"Monsieur !"

L'inconnu ne sembla pas l'entendre, alors Pape lui saisit l'avant-bras pour le soutenir.

"Monsieur, tout va bien ?"

Lorsque l'inconnu tourna la tête, Pape fut saisi par ses cernes, son teint pâle et son regard un peu hagard. Pourtant, celui-ci lui répondit avec une tentative de sourire et un hochement de tête que tout allait bien et qu'il était bientôt rendu. Oubliant tout le reste, le basketteur lui proposa alors — sans vraiment lui laisser le choix, puisqu'il semblait bien que cet homme avait besoin d'aide — de le raccompagner. L'inconnu hocha la tête avec une mine qui ne laissa rien transparaître de si cela l'importunait ou lui faisait plaisir.

Il s'avéra que ce monsieur Yves Coste était fort aimable. Il était professeur de mathématiques, passionné par son métier, et Pape reconnut son propre enthousiasme dans la manière dont son interlocuteur parlait de son travail. Sans que le grand basketteur ne cesse jamais de veiller à ce que celui-ci ne tombe pas, les deux hommes se prirent à parler du confinement et à plaisanter à ce sujet. Puis Yves lui raconta une anecdote d'un élève qui avait rédigé toute une copie en changeant de couleur à chaque question pour le 1er avril, et qui l'avait bien amusé — il avait lui même annoté la copie d'un "Félicitations" multicolore. Pape partagea à son tour une anecdote d'un match où un joueur de son équipe était venu jouer alors qu'il était ivre.

"Ah non, il était vraiment complètement torché ! insista-t-il devant la surprise du professeur. Tu ne peux pas imaginer comme le coach était furieux."

Yves éclata de rire face aux expressions exagérées de Pape, et les deux hommes parvinrent à l'appartement de Yves en riant. Le basketteur ne quitta sa nouvelle connaissance que lorsque celui-ci fut bien rentré chez lui. Il souriait toujours lorsque la porte se referma. Il souriait toujours lorsqu'il rentra chez lui. Il souriait toujours lorsque ses sœurs bondirent à sa rencontre pour lui demander les céréales. Il avait passé une très bonne journée.


# Salut à vous chers lecteurs ! Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Ca me fait toujours plaisir d'écrire les histoires de gens très divers, d'imaginer comment chacun peut percevoir la vie... Si vous avez une idée de personnage, partagez-le en commentaire, je prends toutes les suggestions. Si vous avez aimer lire, n'hésitez pas à voter, et à bientôt tout le monde, j'espère que vous passez une super journée ! #

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