Shai et Dahlia : 2

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Dahlia avait retrouvé ses amis pour déjeuner dans le parc du centre-ville en cette journée ensoleillée de mi-mai, et si elle avait d'abord rechigné à quitter sa chambre où elle avait passé la matinée à jouer sur son téléphone tout en dessinant sur une musique de reggae, elle avait fini par se motiver et le soleil tapant ne parvint pas à casser son enthousiasme de revoir ses amis après plusieurs mois de confinement.

Elle avait faim, et sur les exclamations impatientes de l'une des deux autres filles du groupe, toutes deux prirent le chemin vers la pizzeria pour commander tandis que les deux garçons et Maëlis, le dernier membre de leur petit comité, restaient bavarder. Après avoir brièvement raconté comment s'étaient déroulées ses révisions depuis début mars, confinée chez son copain pour rester motivée à travailler, faire du sport et cuisiner, Dahlia vint aux nouvelles de son amie. Clémence avait aidé à travailler pour les hôpitaux durant le pic de la pandémie, contactant les malades déclarés à leur domicile pour leur proposer de l'aide et s'assurer que la maladie ne reprenait pas le dessus.

"C'était parfois difficile, confia-t-elle. Il y avait des gens endeuillés, des gens épuisés, des gens très seuls."

Malgré tout, elle s'était sentie utile et Dahlia, qui s'était imposé pour principe de rendre sa propre vie utile, comprit bien la fierté de son amie dont le travail avait été récompensé par la seule reconnaissance des gens qu'elle appelait.

***

Les trois autres parlaient avec un air de sérieux lorsque les deux jeunes filles rejoignirent le parc. Olivier, jeune homme à la moquerie facile et particulièrement franc — c'était de lui que Dahlia était la plus proche et elle avait à maintes reprises fait l'épreuve de son honnêteté déconcertante — semblait essayer de rassurer Maëlis sur un sujet qui visiblement la souciait, à en croire sa moue un peu crispée et son regard fatigué. En les rejoignant, il s'avéra qu'elle se faisait du souci quant à ses études. Tous sauf Clémence avaient choisi de s'orienter vers des études scientifiques, mais la jeune élève de classe préparatoire peinait et perdait beaucoup trop vite la confiance déjà fragile avec laquelle elle avait rejoint la filière.

Dahlia, devant cette scène qui l'attristait, déplora une fois de plus la peine qu'elle avait toujours eu à gérer les émotions, que ce soient les siennes ou celles d'autrui. Face à son amie épuisée et à bout de nerfs, elle ne savait ni quoi dire, ni quoi faire. Alors elle s'assit aux côtés de ses amis en regardant l'herbe et réfléchissant autant qu'elle le pouvait pour, à défaut de proposer un soutien émotionnel, essayer d'apporter des solutions rationnelles.

Le groupe ne se sépara que vers 19h, après que de longues discussions philosophiques aient redonné le sourire à Maëlis. L'après-midi s'était poursuivie dans la bonne humeur, agrémentée des piques fréquentes de Dahlia et Olivier, des anecdotes de Clémence au sujet de ses études de médecine, de celles de Maëlis au sujet de ses chats et des blagues de Raphaël issues pour beaucoup des bêtises perpétrées par son oncle. Ils se saluèrent à la sortie du parc, laissant chacun rentrer chez lui sous la chaleur un peu moins agressive du début de soirée, accompagnée d'une annonce de vent doux et des sonorités habituelles d'une fin de printemps. Olivier et Dahlia rentraient souvent ensemble sur un bout de chemin. Cette fois pourtant, au contraire de leur habitude, ils s'arrêtèrent en route. Ils voulaient parler un peu de Maëlis, qui était dans leur classe et dont ils voyaient la morosité croître avec les jours. Olivier poussa la porte d'un café sur le côté du trottoir. Ils passaient devant presque tous les jours, mais malgré l'insistance du jeune homme qui voulait y faire escale depuis son ouverture, Dahlia s'y était systématiquement opposé.

"Tiens, c'est ouvert aujourd'hui ! avait coutume de dire Olivier lorsqu'ils dépassaient le café. Ca te dit de prendre une bière cerise ?

— C'est mort, rétorquait toujours son amie."

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