Le temps était froid, la ville était sombre, Yasmine regagnait sa maison comme en plein été. Elle marchait lentement, les mains dans les poches et la casquette à l’envers telle une racaille du quartier. Alors qu’elle apercevait de loin l’immeuble où elle résidait, une main se posa brusquement sur son épaule en la faisant sursauter. Elle se retourna vivement et toisa de haut en bas le vieil homme en face d’elle appuyé sur sa canne. Il avait ces yeux bleus humides qu’ont la plupart des grands-pères, coiffé d’un haut-de-forme et vêtu d’un costard cravate noir, arborant une moustache de couleur blanche. Sa peau pâle et fragile ressemblant à un linge blanc à côté de la peau mate de Yasmine.
- Je peux vous aider ?, demanda-t-elle poliment.
- Non, ça va, merci, répondit-il d’une voix chevrotante en sortant un mouchoir de sa poche.
- Pourquoi m’avez-vous touché l’épaule alors ?
- Aucune idée, dit-il naturellement en s’épongeant le front délicatement. Oh oh oh, lalala, you are the one for me, for me, for me, formidable, lalalala…
Il chantait à tue-tête en se trémoussant lentement à la façon des vieillards, balançant sa canne de tous cotés. Yasmine leva un sourcil et le regarda faire, silencieuse comme une carpe. Peut-être était-il fou ? Non, il n’avait pas l’air vilain ce pépé, il avait besoin de compagnie, voilà tout, sa femme devait être morte par crise cardiaque et il assumait son statut de veuf d’une autre manière que les autres. Elle le suivit alors dans sa danse en brandissant sa casquette :
- You are my love very, very, very, véritable…
- Darling I love you, love you, darling I want you…
De son coté, le téléphone de Yasmine dans les mains, il avait traversé la dernière rue que lui avait indiqué Google Maps et tourna au coin de l’allée. Tandis qu’il croquait dans sa barre chocolatée, il découvrit un spectacle fort bien étrange. Une jeune fille aux longs cheveux bruns accoudé à une espèce de vieux Casanova en costume chantait une musique de Charles Aznavour en imitant un guitariste de rock, tandis que son acolyte lançait son chapeau dans les airs puis frappait de sa canne le lampadaire avec folie. Il s’approcha prudemment sur la pointe des pieds en plissant les yeux pour mieux voir s’il n’avait pas bu un peu trop ou c’était bien la fille du bar qui continuait une chorégraphie de jazz avec un vieillard déjanté. Il fourra son portable dans sa poche, jeta la barre à demi achevée derrière lui et avança les genoux fléchis, passant un pied après l’autre et secouant sa tête au rythme de la musique. Les deux cinglés le remarquèrent et s’avancèrent sans réfléchir en passant chacun un bras autour de son cou, et tous trois élevaient la voix dans le quartier aussi ambiancé qu’une boîte de nuit.
- JE ME DEMANDE MEME POURQUOI JE T’AIME !
- TOI QUI TE MOQUE DE MOI ET DE TOUT… !
- AVEC TON AIR CANAILLE, CANAILLE, CANAILLE… !
Ils prient une dernière inspiration et crièrent ensemble :
- HOW CAN I_____________________________, LO________VE YOU____________________________________________________!
Ils éclatèrent d’un rire sonore qui résonna dans la rue. Le vieillard essoufflé de cette petite aventure s’assit doucement sur le trottoir et sortit sa pipe puis s’épongea à nouveau le front avec son mouchoir d’un air distrait. Yasmine se plaça à ses côtés et posa le haut-de-forme sur sa tête.
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duck you
RomanceExtrait journal intime. 24 avril 2004. Il avait écrasé mon château de sable, ce gamin ! J'avais 4 ans, peut-être, mais j'étais une enfant de 4 ans en colère. Oui ça change tout. « Je vais te tuer », lui avais-je craché à la figure. Josh, qu'on l'ap...