Dans un même mouvement, les deux jeunes gens s'étaient dressés sur leurs pieds. Du coin de l'œil, ils s'observaient. Ils avaient su que ce moment arriverait, que la confrontation pour la première place aurait lieu. Mais jamais, ils n'avaient imaginé qu'ils seraient à égalité, que rien ne pourrait les départager.
Aliéna avait le cœur plié en deux, dans une douleur émotionnelle et physique qui faisait trembler ses doigts. Des frissons parcouraient son échine et la confusion laissait une expression indéfinie se former sur ses traits. La pensée qui l'horrifiait à ce point apparaissait dans son esprit, seule. Rien d'autre ne pouvait affleurer à l'orée de sa conscience, le tourbillon de ses pensées centré sur cette courte phrase.
Elle avait échoué.
Quelque part dans son parcours parfait, dans sa vie à la première place, elle avait échoué. Elle n'était plus première. Elle était ex aequo.
Il y avait une horreur nouvelle dans cette égalité, car peut-être aurait-elle pu accepter plus facilement son sort si elle avait été battue. En vérité, elle n'en avait aucune idée, mais la pensée que quelqu'un puisse faire aussi bien qu'elle la terrifiait. Qui serait-elle si elle n'était plus première ? Qui était-elle si elle avait pu être égalée ? Où était son honneur si elle ne pouvait plus s'enorgueillir de son unique accomplissement ? Parviendrait-elle à regarder les autres élèves en face alors qu'ils avaient conscience qu'elle n'était pas imbattable ?
La tornade de ses questionnements était étourdissant, et je m'y perdais si violemment et avec tant d'implication personnelle que je dus me forcer à quitter son esprit en urgence. Une main sur le cœur, effleurant doucement le saphir qui pendait à mon cou, je repris peu à peu mes esprits. La douleur de la jeune fille faisait écho à la mienne, et je commettais des erreurs de débutante : me laisser à ce point envahir par les pensées de quelqu'un d'autre était dangereux, je le savais pertinemment.
Quand mon cœur se fut calmé, les adolescents étaient montés sur l'estrade d'une démarche digne, brillant de mille feux sous les rayons du Soleil qui tombaient depuis la verrière. Une nouvelle atmosphère s'empara de la gigantesque pièce à mesure qu'ils se rapprochaient du Prêtre, comme si des liens invisibles unissaient ces trois personnages bien au-delà des apparences.
Placés de part et d'autre du dirigeant, ils arboraient une expression ferme, leur regard dirigé devant eux dans le souci de ne pas laisser leur adversaire percevoir le trouble dans lequel ils étaient respectivement plongés.
En effet, Tion était lui aussi victime de cette situation incongrue dans laquelle ils se trouvaient. Quand son cerveau était parvenu à assimiler les paroles du Prêtre, il avait d'abord cru avoir rêvé ce moment tant il avait souhaité enfin la faire descendre de son piédestal. D'un autre côté, sa fierté s'était ratatinée comme un pruneau sec lorsqu'il avait réalisé qu'ils étaient ex aequo. Il ne l'avait pas dépassée, seulement égalée. Certes, c'était déjà un accomplissement en soit, mais il était persuadé qu'il aurait pu la battre. La frustration qui découlait de cette certitude était d'autant plus importante qu'ils avaient tous deux obtenus la note maximale, ce qui rendait finalement impossible le souhait secret qui l'avait animé ces dernières années. Il observa la jeune fille du coin de l'œil, remué par les événements.
Elle était magnifique. Mystérieuse, elle dégageait une aura qui lui conférait un pouvoir de fascination sur l'intégralité de la salle. Si les murs avaient pu parler, ils auraient eux aussi salué son charisme. La lumière s'échouait sur les perles qui parsemaient sa chevelure et lui donnait un aspect de bijou sacré.
Pour la première fois, le regard qu'il portait sur elle n'était pas fermé par les préjugés qu'il avait à son égard. Pour la première fois, il s'autorisait à la regarder vraiment, de ses yeux de jeune homme sur sa silhouette de jeune femme. Un étrange pincement lui prit le cœur.
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Le Pouvoir des Mots |Tome 1 : Aliénation|
FantasyAvant. C'était un mot majuscule à Vitam, un mot qu'on prononçait avec ce petit réhaussement dans la voix pour signifier la lettre capitale. Parce qu'Avant, ce n'était pas avant la cueillette des fraises ou avant de se coucher. C'était Avant l'Apot...