Le Prêtre se détourna dans un dernier regard à Aliéna. Elle aurait pu y percevoir plusieurs choses si elle y avait prêté plus d'attention. Trop galvanisée par ses émotions, je crois qu'elle n'avait même pas vu l'étincelle tempête se déposer sur elle. Le fait qu'elle soit ex aequo avec Tion avait été occulté de son esprit, elle savourait seulement sa victoire, s'accordant, pour une fois, le droit de ressentir de la joie. Après tout, Vitam connaissait maintenant son nom.
Avec la même délicatesse avec laquelle il avait soulevé celle d'Aliéna, le Prêtre saisit la Couronne de Lauriers de Tion. Il s'approcha de lui, le pas si imposant que le jeune homme se crispa des pieds à la tête. Une décharge d'un sentiment inconnu avait électrocuté son corps à la vue si proche de ce visage blanc et lisse, de ces yeux si envoûtants. C'était une intime conviction que pourtant, il ne parvenait pas à formuler clairement.
Il était oppressé par la présence du dirigeant. Quelques minutes auparavant, il le considérait encore comme un moins que rien, un simple oiseau de malheur qui volait la vérité à ceux qu'ils disaient protéger. Il se devait de reconnaître que cet homme avait quelque chose de profondément effrayant.
La haine du personnage qui se trouvait face à lui se renforçait de jour en jour, et à cet instant, elle lui hérissait le poil, comme si tout son corps se portait hostile à l'égard de cet homme. La violence de ce ressentiment déclenchait toutes les zones de mon cerveau qui percevait le jeune homme comme un élément hostile. Heureusement cela ne dura pas longtemps : un changement fulgurant s'opéra dans l'esprit de Tion lorsqu'il aperçut le sourire flamboyant que le Prêtre arborait.
De l'étonnement d'abord, un sentiment réconfortant ensuite. C'était une chaleur nouvelle qui habitait ses entrailles, comme si pour la première fois de sa vie, on lui souriait ainsi. Il faut dire qu'on ne souriait pas beaucoup à Vitam, et quand on le faisait on n'avait certainement pas ce rayonnement de bonheur qui irradiait maintenant du Prêtre. Le jeune homme ne comprenait pas vraiment à vrai dire, et ce sourire avait pour lui un léger goût de fausseté. Mais pour une fois, sans doute la dernière, il accepta de ne pas comprendre. De ne pas savoir. Il embrassa cette étincelle qui le faisait se sentir moins seul.
Lorsqu'il s'agenouilla pour recevoir sa Couronne, un coin de ses lèvres s'étira également. Il était Premier nom de Dieux ! Peu importait qu'elle soit au même niveau que lui, peu importait que le Prêtre lui paraisse si louche. Il ne comprenait même plus vraiment pourquoi il avait tant détesté Aliéna, pourquoi il avait toujours eu cette impression envahissante qu'il n'avait rien à partager avec cette fille si intelligente.
— Tion, reçois cette Couronne de Lauriers. Vitam te l'offre en symbole de ton travail exceptionnel au cours de cette année, ce travail qui t'a mené aujourd'hui à être Premier de ta promotion. Nous sommes tous témoins de la grande valeur que je vois dans ton regard, et nous sommes certains que tu sauras continuer à apprendre, comprendre pour un jour servir au mieux ton pays.
Le poids de l'or aplatit sa chevelure de jais. Il releva les yeux sous les applaudissements du public alors que le Prêtre était déjà retourné à son pupitre.
— Nos jeunes ont prouvé leur valeur au travers de ces Premiers, et je ne peux qu'encourager les générations futures qui assistent à ce triomphe à travailler aussi dur qu'eux et peut-être emprunteront-ils le même chemin.
Il lança un rapide sourire aux deux élèves couronnés qui le fixaient, captivés par son discours et la façon qu'il avait de se mouvoir. Tout le monde l'était à vrai dire.
— Mais nos jeunes deviendront un jour Anciens, c'est pourquoi il nous faut également rendre hommage à ceux qui ont servi leur pays avec toute leur vérité et leur labeur au fil des années. Le Sanatorium d'Æternam accueillera toujours les valeureux ayant contribué à la bonne santé de leurs prochains.
La population reprit une des nombreuses phrases qu'on apprenait par cœur aux enfants, programmée comme une machine qui exécutait les ordres de la tête du serpent.
— Si véritable tu as été, au Sanatorium t'accueilleront les fruits dorés.
Le silence se rabattit sur la Salle Supérieure quelques instants plus tard, mais les mots avaient eu le temps de résonner entre les oreilles de chacun. Et s'ils n'avaient pas de sens pour eux, ils m'emplissaient encore et toujours d'un étrange sentiment.
— Avant que la cérémonie ne se termine, nous devons remettre leurs récompenses à nos Premiers afin qu'ils se démarquent toujours de leurs camarades par leur valeur, leur intelligence et leur vérité.
Le chœur monocorde débita de nouveau la phrase de rigueur comme si rien ne pouvait entraver le bon déroulement du scénario.
— Que les pierres vous soient données, que toujours vous les honoriez.
Lorsque le dernier écho se perdit dans le silence, deux Guides s'approchèrent avec un immense écrin blanc où reposait des dizaines et des dizaines de pierres précieuses ou semi-précieuses d'environ un centimètre de diamètre. Ils le déposèrent sur une table déjà en place.
Aliéna s'approcha en premier de l'immense coussin velouté. Elle connaissait toutes les pierres qui s'étalaient sous le feu de son regard, chacune avec ses stries particulières, sa signification pour Vitam. La couleur, le type de pierre qu'elle choisirait donnerait au Prêtre et à la population une idée de ce qu'elle allait représenter pour le futur de Vitam, quelques indices pour savoir de quel bois elle était faite. Elle était parfaitement consciente du choix qui se présentait à elle, et surtout elle devait le faire rapidement.
En quelques coups d'œil, elle avait repéré les pierres qu'il fallait absolument éviter : un diamant magnifique dans un coin, une émeraude resplendissante de l'autre. Ces pierres étaient trop pompeuses aux yeux de la population, trop prétentieuses, elles donnaient un air supérieur aux élèves qui les choisissaient. Non, ce qu'il lui fallait c'était une pierre semi-précieuse, assez impressionnante pour susciter l'admiration et juste ce qu'il fallait d'humilité pour paraître accessible. Celles qui étaient vers le centre faisaient partie de cette catégorie, Aliéna élimina donc toutes les autres.
La couleur maintenant. Pas d'or ni d'argent, cela contrastait avec les bijoux de Guides et de Véga sur lesquelles les pierres seraient apposées. Pas de transparence non plus, c'était passé de mode pour se faire bien voir. Alors que ses méninges analysaient la nuance de chacun des cailloux brillants qu'elle avait sous les yeux, un éclat s'engouffra dans ses yeux jusque dans son esprit, une sorte d'épiphanie sur le choix à faire. Sa main se leva d'elle-même vers les cercles nuancés de l'agate bleue qui accrochait la lumière.
— Je choisis cette agate bleue telle le ciel des jours de beau temps. Elle chassera les nuages qui pourraient obstruer la vérité pour ne laisser que l'intelligence et la valeur. Le Soleil amènera prospérité et bien-être sur tout Vitam tant que cette pierre reluira sur un bijou.
La foule salua son discours d'applaudissements assourdissants, et de quelques cris d'admiration.
Du coin de l'œil, le Prêtre souriait.
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Et voilà qui conclut ce looong chapitre. (je l'ai divisé en deux pour la survie de vos yeux x))
Sincèrement, cette phrase de fin de chapitre est une des mes préférées de tous les temps xD
J'espère en tous cas que ça vous a plu, normalement on se retrouve de nouveau dimanche prochain pour le chapitre 6 et après on prendra le rythme d'un dimanche sur deux.
Je vous souhaite une bonne semaine, moi je repars sur Toulouse pour ma deuxième année, je suis si contente hihi.
✨Un peu d'étoiles pour faire briller vos vies✨
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Le Pouvoir des Mots |Tome 1 : Aliénation|
FantasíaAvant. C'était un mot majuscule à Vitam, un mot qu'on prononçait avec ce petit réhaussement dans la voix pour signifier la lettre capitale. Parce qu'Avant, ce n'était pas avant la cueillette des fraises ou avant de se coucher. C'était Avant l'Apot...