Chapitre 1

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L'ours marchait lentement, les yeux levés vers la cime des arbres. Son corps, lourd et imposant, se déplaçait pourtant avec agilité sur les rochers et les pierres sur les rives de la rivière. Il bondit soudain dans l'eau, éclaboussant son pelage fourni. Il fixa ensuite l'eau avec attention, les yeux fixés sur un mouvement entre deux pierres grises. D'un mouvement rapide, souple, il planta ses griffes dans le saumon et le souleva violemment. Il retomba sur la rive, et immédiatement, l'ours planta ses crocs dans le poisson et le dévora immédiatement. Soudain, l'ours se redressa, et une convulsion secoua son corps. Il sembla rétrécir à toute vitesse, et à l'endroit même où il se tenait auparavant, un petit lapin regardait partout autours de lui. Il fit un bond, et alors qu'il n'avait pas encore touché le sol, il se transforma aussi soudainement en une petite hirondelle qui s'envola d'un battement d'ailes.

Lya ouvrit brutalement les yeux et se redressa aussitôt sur les coudes. Empêtrée dans ses draps, ses cheveux roux collés de sueur, la jeune fille poussa un soupir. Le rêve, qu'elle faisait toutes les nuits, venait en encore de la réveiller en sursaut. Cela s'arrêtait toujours à ce moment. D'abord, l'ours, qui se changeait en un autre animal, puis en un dernier, souvent un oiseau, qui s'envolait toujours pour finir le rêve.
La jeune femme tourna les yeux vers son réveil, qui indiquait 6 heures trente. Il devait sonner dans une demie heure. Puisqu'elle était réveillée, autant qu'elle se lève. Elle se redressa, se depêtra de ses draps et se leva. Lya se plaça devant le grand miroir rose pâle qui se tenait appuyé contre le mur de sa chambre, puis se dévisagea. Grande, mince, grands yeux bleus et chevelure rousse bouclée qui lui tombait légèrement sur les épaules la rendait à la fois étonnante et séduisante. Des légères tâches de rousseur tâchaient sa peau pâle sur les contours de son nez. Lya replaça une mèche rebelle sur son oreille et s'observa encore quelques instants dans la glace.
Elle finit par ouvrir une petite porte sur le côté pour prendre une douche. Elle sécha ses cheveux, qui se remirent aussitôt à boucler, puis s'habilla. Alors qu'elle rouvrait la porte, une voix appela :
- Lya, ma puce, il est l'heure ! Tu es réveillée ?
Lya attacha aussitôt ses cheveux en une queue de cheval et ouvrit la porte de sa chambre. Elle passa sa tête par l'embrasure et cria :
- Oui, maman, je suis prête, j'arrive !
Elle attrapa un manteau beige qu'elle enfila, et un cartable d'un rouge éclatant.
Elle dévala l'escalier, arrivant dans une cuisine encombrée. Une femme d'un certain âge faisait chauffer du lit dans un micro onde, et Lya l'embrassa sous la joue. Elle s'installa à la table, son rêve toujours dans la tête. Elle le faisait toutes les nuits aussi loin qu'elle puisse s'en souvenir, et elle trouvait parfois que cela devenait lassant de rêver toujours de la même chose.
Sa mère lui tendit une tartine généreusement beurrée et elle l'enfourna dans sa bouche avec un sourire. Elle avala le tout, un verre de lait, puis attrapa son sac et sortit de la maison.
Dehors, il faisait frais ; un vent glacé soulevait les branches des arbres sur le côté de la route, et la jeune femme se hâta de fermer son manteau. Elle sortit son portable de sa poche, mit des écouteurs, et écouta de la musique.

Lorsque la sonnerie du cours de français retentit, je poussais un soupir de soulagement. Je m'empressais de ranger mes affaires en les poussant dans mon sac, tandis que ma voisine de table, ma meilleure amie, Victorine, rangeait avec attention ses cahiers dans son sac. Je l'attendis près de la porte de la salle, puis elle me rejoignit et nous sortîmes tous deux dans la cour de récréation. Le lycée avait beau être vaste, la cours de récréation était plutôt petite, et nous dûmes nous faufiler pour atteindre enfin un banc de libre.
Victorine posa son sac sur le côté puis se tourna vers moi. Sachant d'avance que j'allais y avoir droit, je posais aussi mon sac et me tournais vers elle.
- Alors, Lya ? Demanda la petite blonde.
- Toujours le même rêve, soupirais je avec lassitude. Cette fois ci, c'était un ours, un lapin puis une hirondelle.
- Fascinant, commenta Victorine. Comme je m'y attendais, elle sortit de son sac une grosse liasse de papiers et commença à fouiller dedans. Elle en tira une plus petite feuille qu'elle me tendit. Retenant mon soupir, je l'attrapais.
- Les rêves : symbole du lapin, lus je a haute voix. Oh non, Victorine, tu as vraiment fait une recherche sur tous les animaux ?
Ma meilleure amie sourit de toutes ses dents. Depuis que je lui avais parlé de mon rêve, elle qui rêvait de devenir psychologue, elle me sortait tous les jours des explications plus farfelues les une que les autres. À ce que je lisais, le symbole du lapin était une envie inconsciente de courir au loin, d'échapper à son destin... Ou d'avoir une descendance. Pouffant de rire, je redonnais sa feuille à ma blonde meilleure amie. Petite, assez grassouillette, avec des cheveux courts et blonds, Victorine avait tout atypique, comme moi, à sa manière. Alors qu'elle se faisait remarquer par sa langue bien pendue, son franc parler et sa confiance en elle, moi, qui n'aimait pas être au centre de l'attention, je ne pouvais aller nulle part sans qu'on remarque ma flamboyante chevelure rousse. Je la tenais de ma grand mère, qui comme moi, avait des cheveux roux, bouclés, un fin nez et des petites taches de rousseur. Elle prenait plaisir à me comparer avec elle dans un miroir quand je me rendais chez elle, et il était vrai que je lui ressemblais de plus en plus. Parfois, alors qu'on se regardait toutes deux dans un miroir, elle me répétait " c'est pour bientôt. " Et lorsque je demandais ce qui était pour bientôt, elle se tournait vers moi avec ce petit air de douceur amusé que je connaissais si bien " Bientôt que tu seras comme moi, bien sûr !"
Plongée dans mes pensées, je ne vis pas la nouvelle feuille que me tendait Vic. Je sursautais quand elle l'agita devant mes yeux.
- Allô, Lya ! Encore là ?
- Non, répondis je d'une voix morose. Tu m'ennuies avec tes trucs bizarres. Comment pourrais je avoir envie d'avoir une descendance ? Je n'ai que 16 ans !
Victorine balaya l'argument d'un geste de la main quand elle fut interrompue par une toux sèche. Elle tourna la tête. Devant elle se tenait une jeune femme aux longs cheveux bruns et aux magnifiques yeux parfaitement maquillés, qui lui tendait une feuille. Charlotte Dujardin. La populaire du lycée. Celle à qui je n'avais jamais parlé de ma vie.
Et qui me tendait une feuille.
Maudissant ma timidité ridicule, j'essayais d'empêcher mes joues de rosir mais le mal était fait. Merde ! Elle avait dans sa main la feuille sur les lapins ! Je tendis la main et l'attrapais.
- C'était par terre, dit elle simplement. Puis elle tourna les talons.
Maudissant mes joues écarlates, je rendis sa feuille à Vic, qui renonça à me donner la suivante.
- Tu n'as toujours pas envie de savoir ce que signifie ton rêve ?
- On en a déjà parlé. Ce n'est qu'un rêve, qu'est ce que tu veux interpréter ?
Victorine hausse les épaules, et au même moment, mon portable sonne. C'est un message de mon père, parti en voyage à Londres pour son travail international. Il me souhaite une bonne journée. Machinalement, je souris, et remets mon portable dans ma poche arrière.
Le reste des cours se passèrent de la même façon que le cours de français : de façon ennuyeuse. Vers midi, je sentis comme un tiraillement dans mon estomac qui me gêna pendant le cours de physique, puis s'intensifia à la cantine. Au bout de ma énième grimace, Victorine finit par demander :
- Qu'est ce qui se passe, Lya ? Tu as une de ses têtes !
- Je sais pas, j'ai mal au ventre.
- Tu devrais aller voir l'infirmière, si ça empire pour le cours de sport, Madame Linquest te laissera pas partir.
Je posais la main sur mon ventre. Je sentais comme un tiraillement, et cela m'était douloureux. Comme cela ne m'était jamais arrivé auparavant, je m'inquiétais un peu, mais peut être n'étais ce simplement qu'une simple aigreur d'estomac passagère.

Tout empira en cours de sport. J'en étais à mon dixième tour de stade, environ, et je commençais à haleter de plus en plus. Au moment où je passais enfin de la prof, qui siffla pour valider, une terrible douleur se répandit dans mon ventre et remonta jusqu'à ma tête, comme une chaleur dévorante. Je poussais un cri de surprise et de douleur et crispais aussitôt mes deux mains sur mon ventre.
La prof de sport me jeta un coup d'œil exaspéré.
- Debout, Lya. Tu ne vas pas mourir pour dix tours de stade, je te rassure.
La douleur s'estompa un peu, et je me relevais. Un peu effrayée, je fis quelques pas comme si je m'attendais à tomber en poussière. La tête me tournait un peu, sûrement à cause de l'effort que j'avais fait. Victorine finit ses tours en soufflant comme un boeuf, puis vint me rejoindre. Elle m'observa d'un air inquiet.
- Va chez l'infirmière, me conseilla t'elle d'une voix sérieuse. C'est peut être grave.
Je lui jetais un regard inquiet, puis m'assis sur le banc. Je ne ressentais déjà plus rien. Je terminais la séance de sport avec angoisse, puis je pris le bus. Victorine m'envoya un nouveau message pour savoir si j'allais bien, et dans le bus, je ne cessais de me crisper, imaginant que la douleur qui revenait.
En descendant du bus à une petite centaine de mètres de chez moi, je me sentis un peu mieux. Encore une simple ruelle à traverser et je serais chez moi. Je m'apprêtais à pivoter pour parvenir à la rue de ma maison, quand je percutais violemment quelqu'un. Je titubais en arrière, choquée, et je relevais aussitôt les yeux pour m'excuser. Les mots s'étranglèrent dans ma gorge.
L'inconnu que j'avais percuté était un homme, immense, au visage dur et marqué de cicatrices. Ses bras autant musclés que ses jambes, étaient croisés sur son torse. Mais le pire était ses yeux ; des yeux noirs, comme deux abîmes sans fond, sans lueur ni pupille. Alors que je pensais très sérieusement à le contourner et m'enfuir en courant, il se pencha vers moi et dit, avec l'ébauche d'un sourire :
- Lya, c'est ça ?
Mon coeur se mit à battre encore plus vite. Comment cet inconnu connaissait il mon nom ? Mon cerveau tentait d'émettre quelques pensées rationnelles. Ses yeux étaient peut être ainsi à cause d'une maladie, et peut être était ce ma mère qui m'envoyait cet homme pour une quelconque raison...?
Je ne parviens qu'à hocher la tête lentement. Il s'en contenta, puisqu'il demanda :
- Es tu seule ?
Cette fois ci, mon horreur se lut clairement sur mon visage. J'avais regardé suffisamment de films d'horreur à Halloween avec Victorine pour savoir que cette phrase n'était jamais bon signe.
Je le contournais brutalement, puis me mis à courir. J'apercevais au bout de la rue, la boîte aux lettres rouge et la poubelle verte qui m'indiquait ma maison ; encore une petite centaine de mètres et j'y serais. Brusquement, un poids me percuta dans le dos et je chutais en avant. J'essayais de tendre mes mains pour me rattraper mais peine perdue. Je tombais a plat vendre sur le macadam, mon menton heurta le sol et des étincelles explosèrent dans mes yeux. Terrifiée, je clignais plusieurs fois des yeux et me retournais juste a temps pour voir le géant se penchait vers moi, bouche ouverte. Ses yeux d'un noir de jais avaient changés ; ils émettaient une lueur argentée.
Tétanisée totalement cette fois, je ne pus que rester allongée sur le macadam, un goût de sang dans la bouche, les mains et les genoux égratignés.
Alors que l'homme se penchait encore, encore, j'aperçus un bref mouvement sur sa gauche, et une forme noire et massive le percuta de plein fouet. Retenant mon hoquet d'horreur, je tentais de me redresser mais j'avais mal aux genoux et la tête me tourna. L'homme avait, comme moi, percuté le sol. Je me tournais vers lui pour voir qui était mon sauveur et cette fois, je ne retins pas mon hoquet de terreur. Sur la poitrine de l'homme se tenait un énorme loup noir. C'était lui qui avait poussé l'homme pour me sauver, mais me sauver de quoi, au juste ? Ce loup n'allait il pas me dévorer ?
Je fixais le loup, mais des formes floues se mirent à danser dans ma vision, et tout s'éteignit.

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