Chapitre 1

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- Il n'y a rien d'inquiétant à cela, disait le docteur, pour me rassurer. Après un traumatisme crânien, les patients sont souvent atteints d'amnésie, mais les souvenirs reviennent vite. Surtout que vous étiez dans un coma peu profond, seulement quatre jours. Vous verrez, votre mémoire reviendra rapidement.

Il souriait d'un sourire qui se voulait chaleureux, mais comment ne pas être inquiète en voyant son chapeau. Il était en forme de... Méduse. Oui oui, de méduse. Il était rose pâle, avec des filets qui pendaient un peu partout, encadrant son visage qui aurait pu être beau, sans cet espèce de rideau de tentacules. Pour être honnête, j'avais à peine écouté ce qu'il racontait. Pire encore, personne ne semblait perturbé par son accoutrement !! L'infirmière mâchait son chewing-gum en notant je ne sais quoi sur son bloc-notes, et le jeune homme toujours assis près de mon lit écoutait attentivement les paroles du docteur, comme si de rien n'était. Étais-je la seule personne saine d'esprit dans cette chambre, ou au contraire, étais-je folle au point d'imaginer des chapeaux qui n'existaient pas ?!
Le charlatan - je ne voyais pas d'autres explications, ayant écarté la possibilité que je puisse être folle - s'approcha de moi pour effectuer quelques examens banals, mais je repoussai sa main d'un geste vif, qui me surpris moi-même. Quels étaient ces réflexes ?

- Ne me touchez pas ! criai-je, plus fort que je ne le voulais. C'est quoi ce chapeau ? Êtes-vous vraiment médecin ? Ou un sorcier peut-être ? C'est quoi ce délire ? Et puis comment vous pouvez voir avec ce rideau devant les yeux ? Vous opérez vos patients avec ça sur la tête ??

Un silence gênant ponctua ma tirade. Soudain, l'infirmière éclata de rire et murmura quelque chose comme << en v'la une rigolote >>. Le médecin tenta une approche mais se rappelant mon aversion pour lui, resta en retrait. Il écarta légèrement les tentacules devant ses yeux, et je remarquais que la moitié de son visage, toute la partie gauche était boursouflée, et marquée de cicatrices. C'était hideux. Le contraste avec la partie droite était perturbant. Je me sentais tout à coup honteuse d'avoir dit tout cela. M'empourprant, je tentai de m'excuser mais il balaya mes excuses par un geste de la main.

- Comme tu peux le voir, il vaut mieux que je laisse ces tentacules à leur place, dit-il en parlant d'une voix remplie d'amertume. La méduse est mon A-To. Heureusement que La Nature fait bien les choses.

Je crus percevoir du sarcasme dans ses dernières paroles. Inutile de préciser qu'encore une fois, je ne comprenais rien. Avant que je ne puisse poser les nombreuses questions qui venaient de s'ajouter à ma longue liste, le bippeur du médecin sonna. Une urgence, d'après sa réaction. Il s'excusa en promettant de revenir dès qu'il le pourra. Il s'éclipsa avec à sa suite l'infirmière, qui me fit un signe de la main avant de disparaitre derrière la porte. Je me tournai vers la seule personne qui se trouvait dans la pièce, avec moi. Répondant à ma question muette, il m'expliqua :

- Un Animal-Totem, ou A-To, est attribué à chaque citoyen dès sa naissance. Il détermine notre place dans la société, notre travail, et parfois même notre lieu d'habitation.

- Et La Nature ?

- C'est le nom qu'on donne à notre gouvernement. Tout est régi par les lois de La Nature. Et personne ne peut aller à l'encontre de La Nature, n'est-ce pas ? précisa-t-il dans un sourire moqueur. Je lui souris à mon tour, comprenant le jeu de mot - enfin quelque chose de mon ressort !

- Si je comprends bien, moi aussi j'ai un A-To ?

- Exactement, il doit être parmi tes affaires. Tu les récupéreras sûrement à ta sortie d'hôpital.

- Et quel est le tien ?

Je ne l'imaginais pas avoir un A-To aussi voyant que celui du docteur, mais j'étais curieuse de voir quels genres d'animaux on pouvait nous assigner. Je me souvenai soudain du lézard sur l'épaule de l'infirmière.

- Le Saint-Bernard, dit-il en désignant sa chaîne autour du cou. De son pouce, il souleva le médaillon en argent en forme de chien. Il est réputé pour sauver des vies en montagne. Je travaille comme pisteur-secouriste au sud de la ville. Il y a beaucoup de montagnes qui bordent les alentours de l'Etat de Pax. Pax signifie en latin...

- La Paix, complétai-je. Nous nous dévisageames, tous les deux étonnés par mon intervention.

- Tu te souviens de certaines choses ? me questionna-t-il prudemment, comme s'il avait peur qu'en haussant le ton, mes souvenirs s'enfuient à nouveau.

- Je ne sais pas. Certains détails me viennent à l'esprit naturellement, comme maintenant, mais quand je tente volontairement de me souvenir, j'ai mal à la tête.

- Ne force pas trop, le toubib a dit que ça reviendra naturellement. (Il jeta un coup d'oeil par la fenêtre, où l'on voyait le soleil entamer sa descente) Il se fait tard, je vais rentrer. Je reviendrai demain. Repose-toi bien.

Il se leva et épousseta son short. Il avait presque atteint la porte lorsque je l'interpellai.

- Attends, je ne sais pas comment tu t'appelles.

Il sourit et je remarquai qu'il avait une faussette sur sa joue gauche.

- Moi c'est Eliott. Enchanté.

- Eliott, c'est noté. Moi c'est... Moi. Enchantée.

Il s'esclaffa.

- Ravi que tu sois enfin réveillée, Moi.

Il me sourit de façon sincère, et je rougis malgré moi.

DangerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant