Chapitre 1

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Le Pacifique. Le plus grand monstre connu. Cerné par la ceinture de feu, qui occasionne séismes, tsunamis, et catastrophes colossales, il renferme des canyons de plus de dix mille mètres de profondeur, avec une pression cent fois supérieure à celle de la surface. La plus grande masse d'eau sur Terre capable de toucher de ses doigts, à la fois les côtes californiennes, japonaises et néo-zélandaises.

Un monstre respectable, qui pouvait rendre d'infinis services lorsqu'on savait demander.

J'en ai justement un à te demander.

La houle frappait la coque à un rythme régulier et je devais me cramponner solidement. Une gerbe d'eau plus grosse que les précédentes m'éclaboussa et j'ouvris la bouche de surprise, avant de jeter un regard en direction de la cabine.

Jared, leva une main d'excuse en articulant un « désolé » derrière la vitre. Le chalutier avait beau être d'un petit gabarit et surtout en piteux état, il avait du mérite à le manier seul.

Je baissai un peu mes lunettes de soleil pour consulter l'application de navigation marine sur mon téléphone. Notre destination approchait.

Je retournai en cabine.

— Tu vas enfin me dire ce qu'on est venu pêcher ? me demanda Jared.

— Qui a dit qu'on allait pêcher ?

— Depuis que tu as l'âge de parler, tu ne poses que des questions sur l'océan. Et depuis que tu sais écrire, tu recenses tout ce que tu observes comme une analyste. Et depuis que tu prévois de devenir biologiste marin...

— Ça va, ça va, dis-je en riant. J'ai gardé le suspens assez longtemps, c'est ça ?

— Disons que tu as de la chance que je sois patient. Et serviable. Et disponible. Et avec le permis bateau.

Je le poussai du coude en m'esclaffant.

— Fais attention à ce que tes chevilles ne nous fassent pas couler !

— Ça m'ennuierait, je n'ai pas pris mon maillot, car je maintiens qu'on est là pour pêcher, pas se baigner.

Campé sur ses deux pieds, sa casquette vissée sur la tête, il attendait que je mette fin à ses interrogations.

— OK, tu as gagné. Nous sommes là pour trouver des hippocampes dorés.

— Ça se mange ?

— Pas du tout. Ce qui m'intéresse, c'est leur lieu d'habitat. On les trouve à vingt mètres de profondeur, et ils se nourrissent de petits crustacés et de plancton qu'on ne trouve que sur le Myriophyllum australis, une variante de la plante du même nom en Océanie.

Cette fois, il avait compris. Jared leva un sourcil à la fois sceptique et intrigué, un regard qu'il ne réservait qu'à moi.

— Puisqu'on est là, je ne vais pas tuer ton enthousiasme tout de suite, pas vrai ?

— J'aimerais mieux éviter.

— Tu sais que tu peux vraiment être têtue lorsque tu veux ?

Il dit ça en souriant.

— Une promesse est une promesse.

— Tu avais quel âge quand tu as décidé de découvrir la plante qui va révolutionner la science ? Dix ans ?

— Douze. Après le pneumothorax de maman.

Jared retint une grimace au souvenir. Il avait cinq ans de plus que moi et se souvenait parfaitement de ce jour où nous avions cru perdre notre mère.

Le SirénienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant