Sandrina, samedi 17h56

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J'ai pris presque onze minutes pour me rendre chez elle. Je suis devant la maison; d'un gris foncé, elle est large et couverte de fenêtres parfaitement lavées. Une demeure bien chaleureuse. Je tourne mon regard devant moi, tout en descendant le petit pare-soleil contenant un petit miroir très utile dans des moments comme ceux-ci. Heureusement, mon maquillage était toujours aussi impeccable que lorsque ma mère est entrée dans ma chambre. Mon cœur bat tellement fort que je peux voir sa pulsation à travers mon bustier. Je déteste avoir le trac. Ça parait toujours sur mon visage pâle, et je ne veux surtout pas que Morgan me voie de la sorte. J'ai mis du rouge exactement pour avoir l'air plus confiante. J'inspire. J'expire.

Come on la grande! Tu es déjà en retard!

Je sors de la voiture. Les cliquetis de mes talons aiguilles sont bizarrement satisfaisants. Je monte les cinq marches de béton, en tenant le pan de ma robe de la main gauche et la bouquetière à Morgan de la droite. Inspire. Expire. Je fais maintenant face à la porte de verre qui me sépare encore d'elle. Mon pouls bat de plus en plus fort dans mes tempes. Alors, je cogne vivement trois fois sur la surface vitrée et attends un bon quinze secondes avant de voir le visage enjoliveur de sa sœur Sophia. Surprise, elle me sourit, m'enlace et crie;

« Elle est là! Sandrina est enfin là! Mooooooooooorgan? »

Maintenant, toute sa famille est dans l'entrée. Sa mère a déjà les yeux pleins d'eau, son mari ayant ses deux bras enroulés autour de son buste pour la réconforter. Sophia et Frédéric, son petit frère, sont eux aussi dans l'entrée. Une est excitée et débordante de joie alors que son frère me fixe, de ses grands yeux de merlans frits.

« Je suis prête dans dix secondes! J'arrive! » dit alors une voix si familière et réconfortante. Quelques pas précipités se font entendre sur l'étage du haut, puis on entend encore :

« Préparez les caméras, je descends! »

Ah...sacré Morgan.

Cet alors que je la vois, avec sa grande robe verte comme une forêt de conifères, faire la descente de leurs si simples escaliers de bois. Je n'ai jamais vu sa robe; elle avait refusé de me l'a montrée. La sienne est tout aussi complexe que la mienne; elle a un col baveux, orné de paillettes argentées et des perles, retenu par une seule bretelle qui fait le tour de sa nuque. Sa jupe est collée à ses cuisses et reste ainsi jusqu'au-dessus de ses rotules, où la robe se termine. Elle porte aussi de magnifiques souliers argentés, un peu plus courts que les miens.

Ses majestueux cheveux roux bouclés ballote sur ses belles épaules fragiles. Ses deux mèches de devant sont accrochées à l'arrière de sa tête avec une broche de perles. Son maquillage est adorable et met bien en valeurs ses beaux yeux vert émeraude. À cet instant bien précis, après l'avoir examinée de toutes les manières possibles, mon cœur bat beaucoup plus vite, comme s'il allait s'envoler hors de ma poitrine.

Je viens certainement de retomber en amour avec elle

« Wow... » sont les seuls mots qui peuvent sortir de ma bouche. Mes jambes se dérobent sous mon poids. Elle est vraiment la plus belle femme sur cette terre.

Après la dernière marche, elle court vers moi à la manière d'un pingouin et s'accroche à mon cou. Elle me fait tourner avec elle, puis me regarde de la manière qu'elle a, un petit regard aventurier qui me fait fondre à chaque fois. En l'espace d'une seconde, elle m'embrasse et le contact de ses petites lèvres rose sur les miennes enlève alors en moi un poids énorme. Tout le stress et l'angoisse dans lesquels je baigne depuis une semaine déjà, disparaissent tout à coup et se font remplacer par cette grosse boule d'amour et de réconfort.

« Tu es splen-di-de. » me dit alors cette rousse au visage creux empli de taches de rousseur.

« Dis, tu t'es vu? » finis-je alors par articulé.

Elle m'embrasse encore.

« Allez les filles! Une petite photo avant que vous soyez en retard. » nous interromps alors sa mère, une caméra « Kodak » à la main. Morgan me regarde alors, sourire aux lèvres, puis se retourne vers sa mère, une main pesante sur ma hanche gauche. Je tourne mon regard sur sa mère et montre mon beau sourire blanc. Le rayon de lumière provenant de l'appareil m'aveugle un moment, mais mes pupilles se réhabituent à la lumière, quelques secondes plus tard.

Sa mère sourit. Sa sœur, son frère et son père aussi. Elle aussi, elle est heureuse, malgré tout les difficultés des dernières années. C'est ce qu'ils disent n'est-ce pas?

Les plus beaux yeux sont ceux qui ont contenu le plus de larmes...

Je lui prends la main, et lui enfile la bouquetière en roses blanches, ces fleurs préférées, à la main droite. Elle me sourit de plus belle, un beau sourire sincère. Elle sort de mon étreinte et part donner un câlin à sa famille au complet. Je l'envie pour ça; avoir une grande famille qui t'accepte avec tous tes petits défauts.

T'aurais pu avoir la même chose si tu n'avais pas été lesbienne...

Après avoir essuyé une larme, elle embrasse sa sœur, me prends par la taille et me guide vers la porte. Posant la main sur la pognée, elle se retourne pour la dernière fois et glisse un ;

« Je vous aime. Merci pour tout. » à sa famille.

Morgan ouvre la porte et comme une enfant trop excitée, me tire par le bras en courant pour que l'on entre dans la voiture. J'ouvre la portière, m'assois et, avant de partir, l'embrasse sur la joue. Elle rougit, sourire en coin puis me demande de partir, car elle ne veut pas arrivée en retard.

Je démarre la voiture, et me dirige vers le stade, où nous sommes attendus. Le stade olympique de Montréal, vous devez-vous demandés? Bien oui, notre école met toujours le paquet dans les bals de finissants.

« Je suis tellement stressée... » dit alors la superbe femme assise sur le banc passager de ma bien simple voiture.

« Pourquoi? » je demande. « Que pourrait-il arriver de grave ? »

« Je ne sais pas... Une intuition bizarre... »

« Tout va bien aller, ne t'inquiètes pas. Je peux t'assurer que cette soirée sera la plus belle de toute ta vie. »

« Je te fais confiance. » répond Morgan. « Comme toujours. »

Si je n'avais pas nos vies entre mes mains, j'aurais certainement lâché le volant et défait ma ceinture de sécurité pour l'embrasser. Revenant à la réalité, je me rappelle que je suis sur l'avenue Pierre De-Coubertin et que je dois activer mon clignotant droit, car j'entre bientôt dans l'aire du stade. Espérant trouver de la place de stationnement rapidement, je commence à scruter les espaces pouvant contenir légalement ma petite bagnole grise. Plutôt rapidement, j'en trouve une pas trop loin, parfaite pour quand nos pieds seront en sang après nos longues heures de danse.

« Tu vois? On a trouvé une place de stationnement très facilement. Ce sera une merveilleuse soirée. » je dis pour taquiner ma cavalière.

« N'en rajoute pas! » lance-t-elle, un grand sourire étampé sur ses lèvres.

On sort de la voiture, marche un peu main dans la main, puis nous arrivons à la porte principale, où Mathilde, Jacob et Alexandra, qui est venue seule, nous attendent.

Pourtant, malgré la présence amicale de ces gens, je pressens quand même un regard pesant sur ma nuque. Je me retourne, par pure curiosité. Pas un chat. Seulement une petite voiture noire, face au sud. Je ne vois personne à l'intérieur.

Je dois vraiment arrêter de me faire des scénarios impossibles.

Morgan me prend la main et tout en suivant mes amis à travers la porte de verre, je me retourne une dernière fois vers la voiture noire. Et cette fois, cette fois, j'aurais juré voir une ombre à la place du conducteur.

Et j'y attendrai avec patienceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant