Trois, quatre, cinq, six, sept, huit... Je comptai les rubans blancs du passage piéton pour empêcher le stress de monter.
Je n'avais pas pris de sac, peur d'en être embêtée. J'avais un petit carnet et un stylo bleu dans une main, mon téléphone ouvert sur une application GPS pour trouver mon chemin dans l'autre. Juste rassurant, en plein Paris il m'aurait suffi de demander. Mais j'avais trop peur qu'on comprenne où je me rendais.
J'avais également sur moi sa réponse cachée dans ma poche, si abîmée tant je l'avais lue, si sale tant elle avait voyagé à mes côtés. J'aurais pu la laisser dans ma chambre, je la connaissais par cœur. « Mademoiselle, j'ai bien compris le sens de votre écrit, et vos mots m'ont touchée. Si vous voulez que nous nous rencontrions, je vous attendrai le jeudi 17 septembre à dix heures. Sonnez à mon nom, vous connaissez l'adresse. »
— Cordialement, Valentine Danielle.
Je me sentis obligée de le dire à voix haute pour rendre la chose réelle.
Qu'est-ce qui avait bien pu lui plaire autant dans ma lettre ? « Je vous trouve si pure, belle et interdite » ? Un peu trop osé pour lui plaire... « Et lorsque je vous vois à l'écran, je me dis que j'ai raté l'immense honneur, l'immense plaisir de vous faire jouer, d'écrire des rôles pour vous » ? Trop prétentieux... J'eus soudainement envie de faire demi-tour en me rappelant toute l'audace dont j'avais fait preuve dans cette lettre... Mais, peut-être que justement c'était ce qui l'avait touchée, qu'elle avait aimé ma sincérité et mon franc-parler...
*
Le GPS s'arrêta et mon téléphone passa de la minute 47 à la minute 48. Un peu avant l'heure. Il était pourtant de convenance d'arriver en retard lorsque l'on était invité chez quelqu'un, non ? Mais ne m'a-t-on pas appris tout au long de mes études que « dans le Cinéma, être à l'heure c'est déjà être en retard » ? Je voulais prendre le risque. Je vérifiai la date sur mon téléphone, bien que je l'eusse déjà fait plusieurs fois avant de sortir de chez moi : jeudi 17 septembre. 9H48.
Je soufflai un grand coup et me frottai les mains avant de chercher le nom sur l'interphone. J'aurais préféré un code, un premier échange par l'intermédiaire de ce haut-parleur me terrorisait. J'avais répété un nombre incalculable de fois ce que j'allais dire là, et avec quel ton. Évidemment, je savais que jamais je ne le ressortirai comme je l'avais étudié. « V. Danielle », comme pour garder un anonymat qui ne dupait personne. J'appuyai sur le bouton en me raclant la gorge. Trois sonneries et un grésillement avant d'entendre sa voix. Oui, c'était bien elle.
— Bonjour, je suis Nina Delaunay, nous avons rendez-vous à dix heures.
— Oui bien sûr, montez. Quatrième étage.
— Merci.
Le bruit habituel de ce genre de structure retentit, m'invitant à pousser la porte.
Personne ne me savait ici. Il fallait que j'en garde des preuves, au cas où. Je dégainai mon téléphone pour prendre quelques discrètes photos du hall. « Le hall de Valentine Danielle » pensais-je avec folie. J'empruntai l'escalier. Tiens, elle ne m'avait pas indiqué à quelle porte je devais frapper. Une angoisse monta, redescendant tout de suite en constatant au premier étage qu'il n'y avait qu'une porte. Bien sûr, Valentine Danielle n'avait pas de voisin de palier.
Au troisième étage je ralentis. Mes jambes flageolaient, je me sentais à plat. Le stress s'était emparé de moi d'une manière que j'avais peu connue. Et pourtant je l'avais déjà enduré. Ce stress qui me sciait les jambes et me coupait le cœur, je l'appréciais en fin de compte car il me rappelait à quel point j'étais vivante. Ma figure devait être rouge, j'allais arriver haletante, je sentais même la transpiration poindre à la lisière de mes cheveux. De quoi aurais-je l'air lorsqu'elle ouvrirait la porte ? Et puis, pour couronner le tout, j'avais une envie pressante d'uriner. Ah, j'en avais l'habitude, et il fallait toujours que cela arrive dans les moments les plus importants de ma vie.
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La femme du crépuscule
RomanceNina, une jeune femme qui rêve d'embellir le corps féminin en réalisant des films, se décide enfin à écrire une lettre à son artiste favorite, Valentine Danielle. La chance, ou est-ce le destin ? lui accorde une rencontre. Valentine, de cinquante an...