ᑭ'TIT ᙖᗩTᙓᗩᙀ ᐯOᘜᙀᙓ Sᙀᖇ ᗪᙓS ᖴᒪOTS ᗪᙓ ᒪᗩᖇᙏᙓS

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Il y avait un petit garçon.
Il y avait sa mère.
Et il y avait plein de gens.

Il y avait son père, aussi.
Mais c'était différent.

À l'école, tout le monde l'appelait P'tit Bateau, parce qu'il avait toujours un navire en papier avec lui, ou dans son sac à dos.

P'tit Bateau baissa les yeux. Une main glissée dans celle de sa mère, l'autre tenant fermement le bateau.

Le dernier bateau.

Parce que c'était son père, qui les lui faisait et lui offrait en cadeau. Il disait qu'un jour, P'tit Bateau il accomplirait son rêve et voguerait sur les flots.

Même qu'il disait qu'il serait là pour voir ça.

C'était ce que lui avait promis son papa.

Il était jeune, mais intelligent, P'tit Bateau. Il savait ce que c'était, la Mort.

Quand la Mort prenait le chien, il n'aboyait plus.

Quand la Mort prenait la plante, elle ne fleurissait plus.

Et quand la Mort prenait l'homme, il ne faisait plus de bateaux.

P'tit Bateau observait la pierre. Elle était belle, recouverte de fleurs et de mots qu'il ne pouvait pas encore déchiffrer.

Il se demandait si on avait tué les fleurs pour mieux décorer la mort.

Mais surtout il se demandait quand si son père sortirait de là un jour.

Il leva les yeux vers sa mère. Elle était belle, sa maman. Même si aujourd'hui, elle ne portait que du noir. Quand elle tourna la tête, il vit les yeux rouges de sa mère. Alors, presqu'immédiatement, des larmes roulèrent sur les joues de P'tit Bateau.

Sa maman ne pleurait pas. Mais P'tit Bateau pouvait sentir qu'elle le voulait.

Un pâle sourire se dessina sur ses lèvres, et elle s'accroupit, serrant le petit garçon contre elle.

-Sois fort mon fils, l'entendit-il murmurer. Il...

Elle ne parvint pas à terminer sa phrase. Refusant de laisser les pleurs la submerger, elle rompit l'étreinte et se recula.

-Maman, fit P'tit Bateau, les joues mouillées. P-Pourquoi tu ne p-pleures pas ? Tu n-n'es pas triste ?

La surprise éclaira les traits de la femme, ainsi qu'une profonde peine.

-Bien sûr que si, je suis triste, souffla-t-elle d'une voix rauque que P'tit Bateau ne lui connaissait pas. Je n'ai... jamais été si triste.

Elle se mordit la lèvre inférieure de toutes ses forces pour ne pas pleurer. Le petit garçon attendait sa réponse, reniflant et essuyant son nez rouge.

-Je ne pleure pas parce que... elle inspira profondément, jettant un coup d'œil à la tombe de son mari. Elle était seule maintenant. Ce sera si dur. Elle devait... Je dois être forte, mon chéri.

Pour nous deux, pensa-t-elle.

-Mais toi mon bébé, tu peux pleurer. Tu n'as pas à cacher tes émotions, sourit-elle faiblement. Je serai là pour toi.

Les pleurs de P'tit Bateau redoublèrent. Il tourna ses yeux embués vers son oncle, qui, le visage fermé, fixait la tombe, le regard vide.

-Et t-tonton ? P-pourquoi i-il ne pleure p-pas ? demanda l'enfant. I-il n'est p-pas triste ?

Toujours accroupie, la mère leva brièvement les yeux vers le frère de son défunt amour. Son cœur se serra, et son regard tourmenté retomba sur son fils unique.

-Lui aussi est triste, autant que toi ou moi, le contredit doucement la femme. Mais certains Hommes sont trop fiers pour montrer ce qu'ils ressentent, et préfèrent retenir leurs larmes. Ils s'empêchent de les verser.

Alors P'tit Bateau retint sa respiration, ordonnant mentalement à ses pleurs de se stopper. Aussitôt, une douleur apparut au niveau de son cœur, mais aussi de sa gorge, de sa tête, son nez et ses yeux.

Il ne pouvait pas. Il était trop triste.

Alors il éclata en sanglots, s'accrochant au cou de sa maman.

-M-mais ça fait s-si mal ! protesta P'tit Bateau avec l'indignation d'un petit garçon impuissant face aux choses qui le dépassaient.

-Je sais mon fils, le conforta sa mère.

Et le temps passa.

Le temps passa, et les gens s'en allèrent. Même quand son tonton partit, P'tit Bateau pleurait encore.

La mère, fatiguée d'avoir dû paraître forte pendant tout ce temps, laissa son fils qui refusait de quitter la tombe, pour s'enfuir aux toilettes.

Alors, après de longues minutes passé seul devant la tombe de son père, P'tit Bateau cessa enfin de pleurer. Son papa... il lui manquait. Mais il n'avait plus assez de larmes, P'tit Bateau.

Et au fond, ce qui le rendait encore plus triste, c'est que sa maman, son tonton, et tous les autres s'empêchaient de pleurer et souffraient en silence.

P'tit Bateau se rapprocha de la pierre. Si près qu'il fit tomber un pot de fleur, qui roula au sol sans se casser.

Il était tard, P'tit Bateau était fatigué. Touchant du bout des doigts son bateau en papier, il décida de décaler certains ornements floraux, et se fit une petite place sur la tombe de son père.

Allongé dessus, il fixait le dernier bateau, le cœur lourd. Une goutte s'écrasa sur le papier, l'imbibant d'eau. D'autres gouttes suivirent, et bientôt, la pluie se mit à tomber.

P'tit Bateau regarda le ciel, et il se remit à pleurer. Mais cette fois, c'était silencieux, ou du moins couvert par le bruit des gouttes rebondissant sur le sol.

-P-Papa... lança soudainement le petit garçon. Tu sais ce q-que c'est la pluie ?

Le silence lui répondit. P'tit Bateau fronça les sourcils, tentant d'organiser sa réponse. Sans qu'il s'en rende compte, ses larmes se stoppèrent, et quand il ouvrit la bouche, sa voix ne tremblait presque plus.

-B-Ben moi je pense que...

Il inspira un grand coup, se rappelant des paroles de sa mère. Ils s'empêchent de les verser.

-La pluie c'est toutes les l-larmes que les Hommes s'empêchent de verser...

Et quand une goutte de pluie s'écrasa sur son front pour rouler le long de son visage, P'tit Bateau ne l'essuya pas.

Les Hommes méritaient de pleurer.

❝𝐏𝐄𝐍𝐂𝐈𝐋 𝐂𝐀𝐒𝐄❞ [os/nouvelles]Where stories live. Discover now