Chapitre 3 ~ La Chute

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     J'avais l'étrange impression qu'on me ballottait dans tous les sens, à tel point que j'en avais mal au cou. Pourtant, chose rassurante, je sentais deux bras m'enserrer. L'un dans mon dos, l'autre sous mes genoux, m'amenant à reposer contre une poitrine sécurisante.

     Je ne saurais dire combien de temps on me déplaça. J'avais beau avoir conscience des mouvements, j'étais encore plongée dans une torpeur contre laquelle je ne parvenais pas encore à lutter. Ce n'était pas faute d'essayer de lever une main pour signaler ma reprise de conscience en cours...

     Soudain, à la fraîcheur du corps contre lequel je reposais, s'ajouta un courant d'air glacial et le bruit assourdissant du vent qui grondait. Je compris que nous étions aux frontières de notre monde. Là où l'immensité du nuage nous abritant prenait fin, s'ouvrant sur le vide. Il n'y avait qu'à ces endroits que notre magie ne veillait plus à ce que le silence – si confortant pour nous – perdure.

     On finit par me déposer au sol, sans ménagement. Quelqu'un, qui me restait encore inconnu, s'accroupit à mes côtés. Je le compris à la façon dont on se saisit de ma main, pour la conduire à reposer sur un genou un peu plus en hauteur. Puis, on me parla. Un très long moment. Je ne parvins pas à saisir le sens du moindre mot. Pourtant, ce discours apaisait un peu la terreur que provoquait en moi le raffut en arrière-plan.

     Je ne comprenais pas pourquoi on m'avait conduite ici. Cela ne faisait pas partie du protocole et j'en venais à craindre beaucoup de choses. Les avais-je déçues au point qu'on décide finalement de ne plus me confier la direction d'une saison ? Allais-je être bannie pour une faute quelconque que j'avais commise sans m'en rendre compte ? Je savais que c'était un fait rare, mais il était déjà arrivé qu'on chasse certaines fées peu satisfaisantes en direction de la Terre, d'où aucune n'était jamais revenue.

     La personne à mes côtés relâcha ma main pour se redresser. Libérés, mes doigts s'effondrèrent au sol. Une douleur lancinante les traversa de part en part, me coupant le souffle. Ma panique fut telle que je réussis enfin à me mouvoir. Mon geste fut, par contre, totalement désordonné et mes doigts frappèrent la peau glaciale de ma compagne, se crispant pour tenter de s'y accrocher tant bien que mal. Dans ma paume, je sentis la morsure d'un objet aux bords irréguliers. Loin de me décourager, cet élan douloureux ne fit que m'encourager, signe que chaque minute qui passait, je progressais davantage vers le réveil. Je m'y agrippai donc, qu'importe si les extrémités de mon point d'ancrage s'insinuaient dans ma peau, jusqu'à m'en faire saigner.

     Grondant d'agacement, ma voisine me donna un coup de pied dans les côtes pour m'échapper. Objectif atteint lorsque la retenue de l'objet, auquel j'étais suspendue de toutes mes forces, céda. Immédiatement, je reçus un nouveau choc sur le flanc. Choc qui me fit rouler sur le côté et basculer... dans le vide !

     Ce fut ce moment précis que choisirent mes yeux pour s'ouvrir. Au début, je crus même qu'ils étaient toujours fermés, que je rêvais simplement de desceller mes paupières. Tout autour de moi était noir et... désert. Mon corps inerte chutait sans aucune retenue, aucun frottement pour le ralentir.

     Désespérée, je me concentrai aussi fort que possible sur mes ailes, les priant de s'éveiller, de chasser, une bonne fois pour toutes, l'engourdissement glacé d'Hibernia, qui les avait endormies. Allez ! Rien qu'un peu. Mais non... Elles refusèrent de m'obéir et je ne pouvais que constater, impuissante, que je tombais à une vitesse vertigineuse en direction du sol. De la Terre. Où je m'écraserais dans le pire des cas et où je perdrais mes ailes dans le meilleur. Si l'on pouvait considérer ça comme une chance.

     Une larme m'échappa et je préférai la mettre sur le compte de l'air qui malmenait mes yeux, les asséchant dans la seconde qui suivait chacun de mes clignements de paupières. Ce n'était que ça, et pas les sentiments d'abandon et de terreur vive qui commençaient à s'emparer de moi.

DestinéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant