Chapitre 2

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Dans sa chute,Gregor se tortilla en tous sens pour ne pas écraser Moufle a l'atterrissage,mais il ne ressentit aucun impact.Il se souvint alors que la buanderie était au sous-sol. Dans quoi étaient -ils donc tombes ?
Les volutes de vapeur s'étaient densifiées,formant un brouillard épais qui générait une faible lumière. Gregor n'y voyait qu'a quelques centimètres autour de lui.Ses doigts griffaient deseperement la substance blanche,a la recherche d'une prise,mais ne rencontraient que le vide. Il tombait a pic, a une vitesse telle que ses vêtements gonflaient autour de lui.
-Moufle! hurla-t-il - et le son lui revient en écho sinistre .
Ce truc doit avoir des parois,deduisit-il.
Il appela a nouveau:
-Moufle!
Un gloussement ravi lui parvint de quelque part sous lui.
-Guego fait youpiiiiiiiii !
Elle pense qu'elle est sur un toboggan géant ou quelque chose comme ça. Au moins elle n'a pas peur, se dit Gregor.
Il se sentait assez terrifie pour deux.
Quel que soit l'étrange terrier dans lequel ils avaient glisse , il devait bien avoir un fond. Cette descente tourbillonnante ne pouvait se terminer que d'une seule façon.
Gregor n'aurait su dire combien de temps s'était écoulé, en tout cas bien trop pour que soit vrIsemblable.Il devait bien y avoir des limites a la profondeur d'un trou. A un moment bous deviez touchez de l'eau, de la pierre, les plaques tectoniques,quelque chose!
Ca ressemblait a cet horrible rêve qu'il faisait parfois.Il était en hauteur,quelque part ou il n'était pas censé être,souvent sur le toit de son ecole. Alors qu'il marchait le long du bord,celui-ci cédaite, le précipitant dans le vide .Tout disparaissait excepte la sensation de tomber, le sol qui se rapprochait, la terreur.Et ,juste au moment de l'impact,il se réveillait en sursaut, couvert de sueur, le coeur battant la chamade .
Un rêve! Je me suis endormi dans la buanderie et c'est le même rêve fou! Se dit Gregor.Bien sur!Comment est -ce possible autrement?
Rassure par l'idée qu 'il était en train de dormir,Gregor commença a compter les secondes.
"Un ...deux...trois..." A soixante-dix, il abandonna et se sentit la panique le gagner a nouveau. Même dans un rêve,il fallait bien atterrir ,non?
A cet instant,Gregor remarqua que le brouillard commençait a se dissiper. Il distinguait a présent les parois lisses et sombres d'un mur circulaire.Apparemment,il se trouvait dans un large tube obscur.Il sentit un courant d'air monter sous ses pieds. Les dernières volutes de vapeur s' évanouirent et Gregor perdit de la vitesse. Ses vêtements retombèrent doucement sur son corps.
Il entendit un bruit sourd puis le trottinement des sandales de Moufle. Quelques instants plus tard,ce fut son tour de poser le pied sur le terre ferme.
Il essaya de se repérer, sans oser bouger. Il était plongé dans l'obscurité la plus totale.Une fois que ses yeux se furent habitués, il distingua un faible rai de lumière sur sa gauche.Un couinement ravi retentit,venant de cette direction.
- Bête ! Goooosse bête !
Gregor s' élança vers la lumière. Elle s' échappait d'une étroite fente entre deux parois de pierre lisse.Il était tout juste parvenu a se glisser dans l'ouverture quand ses baskets butèrent sur quelque chose et il perdit l' équilibre.Il trébucha hors de la faille et atterrit a quatre pattes. Gregor se retrouva nez a nez avec le plus grand cafard qu'il ait jamais vu.
Il y avait quelques gros insectes dans son immeuble.Mme Cormaci jurait qu'une punaise de la taille de sa main était sortie du siphon de sa baignoire et personne ne mettait sa parole en doute.
Mais en face de Gregor s'élevait une créature d'au moins un mètre vingt de haut.Certes,il tenait sur ses pattes arrières,une position très étrange pour un cafard, mais quand même...
- Gosse bête ! s'écria a nouveau Moufle, et Gregor ,qui était resté bouche bée, s' obligea a la fermer.
Il se redressa sur les genoux mais , même ainsi , il dut lever la tête pour mieux regarder l'insecte.Celui-ci tenait une espèce de torche. Moufle sautilla vers Gregor et tira sur l'encolure de son tee-shirt.
- Goooosse bête ! insista-t-elle.
- Oui , je vois Moufle. Grosse bête ! dit Gregor a mi-voix, en la serrant contre lui. Très... grosse... bête.
Il s'efforça de se rappeler ce que mangeaient les cafards.Les ordures, la nourriture pourrie... les gens? Il ne pensait pas qu'ils mangeaient les gens. En tout cas, pas les cafards de petite taille.Peut- être qu'ils auraient bien aimé manger des gens mais qu'on les écrasait toujours avant. Mais ce n' était pas le moment de tester cette théorie.
Gregor se rapprocha lentement de la brèche dans le rochers tout en adoptant un air désinvolte.
- OK, M.Cafard, on va y aller, désolé de vous avoir embêté...pardon,ennuyé, je veux dire...
- Sentir quoi si bon , sentir quoi? siffla une voix.
Il fallut une bonne minute a Gregor pour réaliser qu'elle venait du cafard.
Il était trop ébahi pour comprendre l'étrange phrase.
- Euh... pardon?
- Sentir quoi si bon ,sentir quoi? siffla a nouveau la voix,mais le ton n' était pas menaçant,juste curieux,peut- être un peu excité. Etre ça petit humain, être ça ?
Daccord,je suis en train de parler a un cafard géant,pensa Gregor.Sois sympa, sois cool, réponds à la bébête. Il veut savoir "Sentir quoi si bon, sentir quoi?". Alors, dis-le-lui.
Gregor se força à renifler profondément et le regretta immédiatement. Une seule chose pouvait sentir comme ça.
- Moi fait caca ! s'écria Moufle avec son à-propos coutumier.Moi fait caca,Guégo!
- Ma soeur a besoin d' être changée, expliqua Gregor, un peu gêné.
Le cafard parut très impressionné, si toutefois Gregor interprétait correctement son expression.
- Aaah. Venir plus près pouvons-nous, venir plus près. demanda le cafard, balayant délicatement d'une patte l' espace devant lui.
- Nous? répondit Gregor.
C'est à ce moment- là qu'il aperçut autour d'eux d'autres formes sortant de l'obscurité.Les bosses lisses et sombres qu'il avait prises pour des pierres étaient en fait les carapaces d'une douzaine de cafards géants. Ils se pressèrent avidement autour de Moufle,agitant leurs antennes et frissonnant de plaisir.
Moufle,qui adorait les compliments, sentit instinctivement qu'on l'admirait.
Elle leva ses bras potelés vers les énormes insectes.
- Moi fait caca , dit -elle gracieusement , et son auditoire répondit par un sifflement d'extase.
- Etre elle princesse, Surterrien, être elle ? Etre elle reine, être elle? demanda leur chef, baissant la tête en signe de dévotion.
- Moufle ? Une reine? demanda Gregor en éclatant de rire.
Le son sembla ébranler les cafards, et ils reculèrent avec raideur.
- Rire pourquoi, Surterrien, rire pourquoi? siffla l'un d'eux, et Gregor réalisa qu'il les avait vexés.
- Parce qu'on est, je ne sais pas ,pauvres, et qu'elle est un peu sale et... vous m'appelez Surterrien? finit-il sans conviction.
-N'être toi pas de Surterre,n'être toi? Pas de Souterre toi ,dit le cafard à la torche en l'observant attentivement. L'air tu as, mais l'odeur toi n'as pas.
Le chef sembla soudain réaliser quelque chose.
- Rats mauvais.
Il se tourna vers ses camarades.
- Laisser nous Surterriens ici, laisser nous?
Les cafards se rapprochèrent pour discuter et tous se mirent à siffler en même temps.Gregor discernait des bribes de conversation, mais rien qui lui permette de suivre. Ils étaient si absorbés par leur débat qu'il fut tenté d'essayer de s'échapper à nouveau. Il regarda autour de lui. Dans la faible lumière de la torche, il distingua ce qui semblait être un long tunnel plat.
Il faut qu'on remonte,pensa Gregor.Pas qu'on avance.
Avec Moufle dans les bras, il n'arriverait jamais à escalader les murs du puits dans lequel ils étaient tombés.
Les cafards semblaient s'être mis d' accord.
- Venir toi ,Surterrien.Emmener aux humains,dit le chef.
- Des humains? dit Gregor ,soulagé. Il y a d'autres humains ici?
- Monter toi ,monter? Courir toi ,courir?demanda le cafard et Gregor comprit qu'il lui proposait de la chevaucher.
Il n'avait pas l'air assez solide pour le transporter mais il savait que certains insectes,comme les fourmis, pouvaient porter plusieurs fois leur poids.Une image répugnante lui vint à l' esprit: lui , s'asseyant sur le cafard et l' écrasant.
- Je pense que je vais marcher...enfin, courir, dit Gregor.
- Monter la princesse, monter elle? proposa le cafard avec espoir, agitant servilement les antennes et s' aplatissant sur le ventre devant Moufle.
Gregor allait refuser mais la petite fille s'installa sans hésitation sur le dos de l' insecte.Il aurait dû s'en douter. Elle adorait s'asseoir sur les tortues en métal du zoo de Central Park.
- OK, mais elle doit me tenir la main, dit Gregor,et Moufle lui agrippa docilement un doigt.
Le cafard partit immédiatement et Gregor se trouva obligé de courir pour le suivre.Il savait les cafards agiles:il avait regardé se mère en écraser plus d' un.Apparement,ces insectes géants avaient conservé une vitesse proportionnelle à leur taille. Heureusement,le tunnel était plat et Gregor n'avait arrêté l' athlétisme que depuis le début des vacances. Il adapta ses foulées à celles du cafard et prit bientôt un rythme confortable.
Le tunnel se mit à zigzaguer. Les cafards prenaient des passages transversaux et parfois même revenaient sur leurs pas pour choisir un meilleur itinéraire.En quelques minutes,Gregor était complètement perdu,et la carte de leur trajet qu'il avait tenté de tracer dans sa tête ressemblait à un gribouillage de Moufle.Il consacra alors toute son énergie à tenir la cadence des insectes au lieu de repérer le chemin.
Mince alors,se dit-il,ces bestioles sont vraiment rapides!
S'il était essoufflé, les cafards ne montraient aucun signe extérieur de fatigue. Il ignorait à quelle distance se trouvait leur destination.Elle aurait pu être à cent kilomètres.Comment savoir jusqu'où ces insectes pouvaient courir?
Alors qu'il s'apprêtait à leur dire qu'il avait besoin de repos,Gregor entendit un grondement familier.Au début, il pensa s'être trompé,mais plus ils approchaient,plus il était sûr de lui.Il s'agissait d'une foule et,s' il en croyait la rumeur,une grande foule.Mais comment faire tenir une telle quantité de personnes dans ces tunnels?
Le sol s'inclina brusquement.Gregor fut obligé de reculer pour ne pas percuter le chef des cafards.Quelque chose de doux et de léger caressa son visage et ses bras.Du tissu?Des ailes?Il traversa cette matière et,de l'autre côté,une lumière inattendue manqua de l'aveugler.Il se couvrit les yeux le temps qu'ils s'habituent.
Une exclamation s'échappa d'une multitude de bouches.Là-dessus,il ne s'était pas trompé.Puis un profond silence s'installa,et il eut la sensation qu'ils étaient nombreux à le regarder.
Gregor commença à deviner ce qui l'entourait.Il ne faisait pas si clair que cela-on aurait plutôt dit le soir-mais il était resté si longtemps dans l'obscurité qu'il ne savait plus.La première chose qu'il distingua fut le sol,recouvert de mousse vert sombre qui,au lieu d'être irrégulière, semblait aussi lisse que de l' asphalte.Il pouvait sentir la souplesse sous ses pieds.
C'est un terrain,se dit-il.Pour un sport quelconque.C'est pour ça qu'il y a la foule.Je suis dans un stade.
Lentement,tout se précisa.Un mur poli délimitait une caverne ovale d'environ quinze mètres de haut.La partie supérieure de l'ovale était entourée de gradins.
Les yeux de Gregor suivirent les rangées de gens.Il découvrit alors les athlètes.
Une douzaine de chauves-souris, dont les pelages allaient du jaune pâle au noir, tournoyaient lentement au-dessus de l'arène. Il estima que la plus petite avait une envergure d'environ quatre mètre cinquante.Le public devait être en train de les regarder quand Gregor était arrivé ,car le reste du terrain était vide.
Peut-être que c'est comme à Rome dans les arènes,sauf qu'ils donnent des gens en pâture aux chauves-souris. Peut-être que c'est pour ça que les cafards nous ont amenés ici,pensa-t-il.
Quelque chose tomba d'une des chauves-souris et rebondit au milieu du terrain,montant à quinze mètres dans les airs.
Oh,c'est juste une...
- Balle ! s'écria Moufle.
Avant qu'il ait pu l'arrêter, elle glissa à terre, se fraya un passage au milieu des autres insectes et se mit à courir maladroitement sur le sol moussu.
- Si gracieuse la princesse, siffla un cafard d'un ton rêveur alors que Gregor se précipitait à la suite de sa soeur.
Les insectes,qui s'étaient écartés pour laisser passer Moufle,formaient autant d'obstacles pour lui.Soit ils cherchaient à le ralentir,soit ils étaient tellement fascinés par le beauté de Moufle qu'ils l'avaient complètement oublié.
La balle rebondit une deuxième fois.
Moufle courut après,les bras en l'air, prêts à l'attraper.Quand Gregor se fut enfin libéré des cafards et put courir vers la petite,une ombre passa au- dessus de lui.Il leva les yeux et, horrifié,vit une chauve-souris dorée plonger en piqué sur Moufle.Jamais il ne l'atteindrait à temps.
- Moufle! hurla-t-il, l'estomac noué.
Elle se retourna vers lui et vit la chauve-souris pour la première fois.
Son visage s'illumina comme un sapin de Noël.
- Chaussou-is ! s'écria-t-elle en désignant l'énorme animal au-dessus d'elle.
C'est pas vrai! pensa Gregor.Est-ce que rien ne lui fait peur?
La chauve-souris fondit sur Moufle, la fourrure de son ventre frôlant les doigts de l'enfant,avant de faire un looping et de s'élever de nouveau dans les airs. Au plus haut de son ascension,quand elle se retrouva a l'envers,Gregor remarqua pour la premiere fois que quelqu'un était assis sur le dos de l'animal,les jambes enserrant son cou,et réalisa que c'était une fille.
La tête en bas,la fille ouvrit les jambes et se laissa tomber.Elle exécuta à la perfection un double saut périlleux arrière,se retournant au dernier moment pour faire face à Gregor et atterrir aussi légèrement qu'un chat juste en face de Moufle.Elle avança une main.La balle retomba dedans, résultat d'un timing remarquable ou d'une chance incroyable.
À l'expression arrogante arborée par l' inconnue,Gregor devina que la chance n'y était pour rien du tout.

Gregor : La Prophetie du GrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant