Chapitre 5

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Les ailes de velours caressèrent ses joues et il aperçut pour la première fois Regalia.
- Waouh ! s'exclama-t-il en s'arrêtant net.
Gregor ne s'attendait pas à cela.À des maisons en pierre des grottes,quelque chose de primitif en tout cas.Mais la ville magnifique qui s'étalait devant lui n'avait rien de primitif.
Ils se tenaient dans une vallée rengorgeant des plus beaux bâtiments qu'il ait jamais vus.New York était connue pour son architecture,ses élégants immeubles en brique,ses gratte-ciel imposants,ses musées grandioses.Mais comparée à Regalia, la ville ressemblait à un accident du hasard,comme si quelqu'un avait aligné des boîtes aux formes bizzares.
Ici,les immeubles étaient d'un joli gris brumeux qui leur donnait l'air de sortir d'un rêve.Ils semblaient émerger directement des rochers,comme s'ils avaient poussé là sans que la main de l' homme y soit pour quelque chose.Ils n' étaient peut-être pas aussi grands que les gratte-ciel que Gregor connaissait, mais ils s'élevaient au-dessus de lui, certains haut de trente étages et terminés par des pics et des tourelles à l'esthétisme raffiné.Des milliers de torches étaient réparties dans la ville de façon à ce que celle-ci soit baignée d' une douce lumière,proche du crépuscule.
Et les bas-reliefs... Gregor était familier des chérubins et des gargouilles, mais les façades de Regalia explosaient de vie. Des humains,des cafards, des poissons et des créatures pour lesquelles Gregor n'avait pas de nom se battaient, festoyaient et dansaient sur chaque centimètre carré de mur.
- Est-ce qu'il n'y a que des humains ici, ou bien aussi des cafards et des chauves -souris? demanda Gregor.
- C'est une ville d'humains.Les autres ont leurs propres villes, ou plutôt "territoires". La majorité d'entre nous vivons ici, bien que certains résident en périphérie, si leur travail le requiert. Voici notre palais, dit Vikus en attirant l'attention de Gregor sur une énorme forteresse circulaire au fond de la vallée.C'est là que nous allons.
Les lumières qui brillaient aux nombreuses fenêtres de la ville lui donnaient un air festif. Gregor sentit son coeur s'alléger un peu. New York City scintillait aussi toute la nuit. Peut-être que cet endroit n'était pas si étranger, après tout.
- Elle est vraiment magnifique, dit -il.
Il aurait adoré l'explorer ,s'il n'avait pas dû rentrer au plus vite.
- Oui ,dit Vikus en regardant la ville avec affection.Mon peuple a l'amour de la pierre. Si nous avions du temps, je pense que nous pourrions créer une terre d'une beauté rare.
- Je pense que c'est peut-être déjà fait. Je veux dire, nous n'avons rien d'aussi beau en Surterre.
Vikus sembla apprécier le compliment.
- Viens, le palais a la plus belle vue de la ville. Tu auras le temps de l'admirer avant le souper.
Alors que Gregor le suivait le long de la route,Moufle pencha la tête en arrière et se mit à la tourner en tout sens.
- Tu as perdu quelque chose ,Moufle ?
- Lune ? répondit la petite.
Ils ne voyaient généralement pas les étoiles de chez eux mais la lune était visible quand le ciel était dégagé.
- Lune ?
Gregor leva la tête vers le ciel noir d' encre avant de réaliser que ,bien sûr, il n'y avait pas de ciel.Ils étaient dans une sorte de gigantesque caverne souterraine.
- Pas de lune ,petite fille.Pas de lune ce soir, dit-il.
- Ache saute lune, répondit-elle platement.
- Mm-hm, acquiesça Gregor.
Si les cafards parlaient,et le chauves -souris jouaient au foot,alors il y avait probablement quelque part une vache sautant par-dessus une lune.Il soupira nen pensant au vieux livre de comptines dans la boite qui flanquait le berceau de Moufle, à la maison.Les gens les fixaient ouvertement depuis leurs fenêtres.Vikus en saluaient certains,hochait la tête et en interpellait d'autres,qui levaient la main en retour.
Moufle le remarqua et se mit à agiter la main.
"Salut!" lançait-elle,"Salut!",et bien qu' aucun adulte ne lui réponde, Gregor vit quelques petits enfants lui faire signe.
- Vous êtes l'objet de grande fascination pour eux,dit Vikus en désignant les gens aux fenêtres.Nous ne recevons pas beaucoup de visiteurs de Surterre.
- Comment avez-vous su que j' étais de New York? demanda Gregor.
- Il n'y a que cinq accès connus en Souterre.Deux mènent à la Morteterre, mais vous n'auriez pas survécu au voyage.Deux s'ouvrent sur la Voie d'Eau, mais vos vêtements sont secs. Vous êtes vivants,vous êtes secs,j'en déduis donc que vous êtes tombés par le cinquième accès,dont je sais que l'entrée se trouve à New York City.
- Elle est dans ma buanderie!s'exclama Gregor. Dans notre immeuble même!
À l'idée que sa buanderie était directement connectée à cet endroit étrange,il se sentait envahi par un sentiment confus.
- Ta buanderie,oui, dit Vikus, perdu dans ses pensées. Votre chute a coïncidé de façon favorable avec les courants.
- Les courants? Vous voulez dire ce truc brumeux?
-Oui, ils vous ont permis d'arriver en un seul morceau.Le timing est essentiel.
- Qu'est-ce qui se passe si ce n'est pas le bon moment?demanda Gregor,même s' il connaissait déjà la réponse.
- Dans ce cas,nous avons un cadavre à enterrer au lieu d'un invité,répondit doucement Vikus . À dire vrai,c'est le résultat le plus courant.Un Surterrien vivant comme toi,plus ta soeur, c'est très rare.
Il leur fallut bien vingt minutes pour atteindre le palais.Les bras de Gregor se mirent à trembler de fatigue sous le poids de Moufle.Mais il ne voulait pas la poser.Avec toutes ces torches autour d'eux, c'était dangereux.
En approchant du magnifique édifice,
Gregor remarqua qu'il n'était pas décoré.Les murs étaient aussi lisses que du verre,et la fenêtre la plus basse s' ouvrait à cinquante mètres au-dessus du sol.Quelque chose clochait,mais il n' arrivait pas à mettre le doigt dessus.
Il manquait un truc.
- Il n'y a pas de porte, dit-il tout haut.
-Non.Les portes sont pour ceux qui n' ont pas d'ennemis.Même le grimpeur le plus émérite ne peut trouver une prise ici.
Gregor passa la main sur le mur de pierre polie.Il n'y avait pas une fissure, même pas la moindre éraflure sur la surface.
- Comment est-ce que vous y entrez?
-D'habitude nous volons,mais si aucune chauve-souris n'est disponible ...
Vikus fit un geste au-dessus de sa tête. Gregor leva les yeux et vit qu'une plate- forme descendait rapidement vers eux depuis une grande fenêtre recrangulaire.Elle s'arrêta à vingt centimètres du sol au bout des cordes qui la soutenaient et Vikus y monta.
Gregor le suivit avec Moufle.Sa récente chute n'avait fait que renforcer son dégoût des hauteurs.La plate-forme s' éleva immédiatement et il saisit l'une des cordes pour se stabiliser.Vikus resta debout au milieu du plateau,l'air calme et les mains croisées devant lui, mais il ne portait pas un bébé gigotant et il avait probablement emprunté ce truc un million de fois.
L'ascension fut rapide et sans heurts.La plate-forme s'arrêta à la fenêtre devant un petit escalier en pierre.Moufle toujours dans les bras,Gregor entra dans une grande pièce aux plafonds voûtés.Un groupe de trois Souterriens attendait pour les saluer,arborant tous la même peau translucide et les mêmes yeux violets.
- Bon crépuscule, les salua Vikus. Voici Gregor et Moufle les Surterriens,frère et soeur,qui sont récemment tombés parmi nous.Merci de les baigner et de les envoyer à la Haute Salle.
Sans regarder en arrière,Vikus sortit de la pièce.Gregor et les Souterriens s' observèrent dans un silence gêné. Aucun d'eux n'avait l'arrogance de Luxa ou l'autorité naturelle de Vikus.
Ce sont juste des gens normaux,se dit-il.Je suis sûr qu'ils se sentent aussi mal à l'aise que moi.
- Ravi de vous rencontrer,dit-il en changeant Moufle de hanche.Dis bonjour,Moufle.
- Bonjou! dit Moufle en agitant la main, l'air absolument enchantée.Boujou! Bonjou, toi!
La réserve des Souterriens fondit comme le beurre au soleil.Ils se mirent tous à rire et leur raideur se dissipa. Gregor se surprit à rire aussi.Sa mère disait que Moufle ne connaissait pas d' étrangers:elle pensait que tout le monde était son ami.
Parfois,Gregor aurait voulu être plus comme ça.Il avait deux ou trois bons amis,mais il évitait de faire partie d'aucune bande à l'école.Cela dépendait des gens avec qui il déjeunait.Il aurait pu s'asseoir avec les garçons de l'équipe d'athé.Ou les membres de l'orchestre.Mais il préférait être avec Angelina,qui faisait toujours partie de la pièce de l'école,et Larry,qui aimait juste...en gros,qui dessinait des trucs tout le temps.
Ceux qui ne le connaissait pas vraiment pensaient que Gregor était snob,mais il était surtout réservé.Il avait plus de mal à s'ouvrir aux autres depuis le départ de son père.Même avant,il n' avait jamais été aussi sociable que Moufle.
Une jeune fille qui paraissait avoir quinze ans s'avança et tendit les bras.
- Mon nom est Dulcet.Puis-je te porter, Moufle? Aimerais-tu un bain?
Moufle regarda Gregor pour vérifier s'il était d'accord.
- C'est bon.C'est l'heure du bain.Tu veux un bain,Moufle?
- Ou-oui! s'écria Moufle avec délice.
Bain!
Elle tendit les bras vers Dulcet qui la prit contre elle.
- Voici Mareth et Perdita,dit Dulcet en indiquant l'homme et la femme à ses côtés.
Ils étaient grands et musclés et ,bien que sans armes,Gregor eut l'impression qu'ils étaient des gardes.
- Salut,dit-il.
Sérieux mais aimables,Mareth et Perdita hochèrent la tête.
Dulcet plissa le nez et posa le doigt sur le ventre de Moufle.
- Tu as besoin d'une étoffe étanche propre,dit-elle.
Gregor devina sans mal ce qu'était une étoffe étanche.
- Oh oui,il fait changer sa couche.
Ça faisait un moment qu'elle portait le même.
- Elle va avoir des boutons.
- Moi fait caca! dit Moufle sans s' émouvoir,en tirant sur sa couche.
- Je vais m'en occuper,dit Dulcet avec un sourire amusé,et Gregor ne put s' empêcher de la comparer à Luxa : elle était tellement plus gentille!
- Nous suivrez-vous vers les eaux, Gregor le Surterrien?
- Oui,merci,je vous suis vers les eaux, répondit Gregor.
Il se sentit tout à coup bien trop formel et craignit que les Souterriens ne pensent qu'il se moquait d'eux.Les cafards s'étaient vexés facilement.
- Je veux dire,oui,merci.
Dulcet hocha la tête et attendit qu'il se cale sur son pas.Mareth et Perdita suivaient,quelques mètres en arrière.
Ce sont clairement des gardes,pensa Gregor.
Le groupe quitta l'entrée et traversa un couloir spacieux.Ils passèrent des dizaines d'arches ouvrant sur des chambres,des escaliers et des halls immenses.Gregor se rendit vite compte qu'il lui faudrait une carte pour s' orienter dans le palais.Il pourrait demander son chemin,mais ce ne serait pas très malin s'il cherchait à s' échapper.Ils pouvaient le traiter en invité,mais ça ne changeait rien au fait que Moufle et lui étaient prisonniers. Les invités pouvaient partir s'ils le souhaitaient.Les prisonniers devaient s' échapper.Et c'était exactement ce qu'il avait l'intention de faire.
Mais comment?Même s'il retrouvait son chemin jusqu' à la plate-forme, personne ne le laisserait descendre,et il ne pouvait pas sauter de cinquante mètres de haut.
Il doit y avoir d'autres moyens d'entrer dans le palais,se dit-il.Il doit y avoir...
- Je n'ai jamais vu de Surterrien,dit Dulcet,interrompant ses pensées. C'est seulement grâce au bébé que je vous rencontre aujourd'hui.
- Grâce à Moufle?
- Je m'occupe des jeunes de nombre d' entre nous,dit Dulcet.Ordinairement, je ne serais jamais présentée à quelqu'un d'aussi important qu'un Surterrien, expliqua-t-elle timidement.
- Eh bien c'est dommage,Dulcet, répondit Gregor, parce que vous êtes la personne la plus gentille que j'aie rencontrée ici jusqu' à présent.
Dulcet rougit et ,mazette,quand ces gens rougissaient,ils rougissaient vraiment!Sa peau devint aussi rose qu' une pastèque mûre.Et pas seulement son visage:elle se colora jusqu'au bout des doigts.
- Oh,bredouilla-t-elle très gênée.Oh,je ne peux accepter un tel compliment.
Derrière lui,les deux gardes se murmurèrent quelque chose.
Gregor devina qu'il avait dit quelque chose de très déplacé,mais il ne savait pas quoi.Peut-être n'étiez-vous pas censé insinuer qu'une nounou était plus gentille que la reine.Même si c'était vrai. Il allait devoir faire plus attention à ce qu'il disait.
Heureusement,ils s'arrêtèrent à ce moment-là devant une porte.Il entendait de l'eau ruisseler,et de la vapeur s'échappait dans le couloir.
Ça doit être la salle de bains,se dit-il.
Il regarda à l'intérieur et vit qu'un mur divisait la pièce en deux.
- Je vais prendre Moufle,vous,vous allez ici,dit Dulcet en lui indiquant un côté.
Gregor supposa que les filles avaient un côté et les garçons l'autre,comme dans les vestiaires.Il se dit qu'il pourrait rester avec Moufle,mais il avait confiance en Dulcet et il ne voulait pas la mettre de nouveau mal à l'aise.
- OK,Moufle? À tout de suite?
- Auvoi! lança Moufle par-dessus l' épaule de Dulcet.
Clairement,la séparation ne l'angoissait pas outre mesure.
Gregor prit à droite.L'endroit ressemblait presque aux vestiaires de l' école,en plus beau et parfumé.Des créatures marines exotiques étaient gravées sur les murs et des lampes à huile diffusaient une lumière dorée.
OK,mais il y a des bancs,et des genres de casiers,pensa-t-il en observant les rangs de bancs en pierre et les cabines ouvertes qui s'alignaient d'un côté de la pièce.
Mareth l'avait suivi à l'intérieur.
Visiblement nerveux,il s'adressa à Gregor.
- Cette pièce sert à se changer.Voici les salles de soulagement et d'ablutions.
As-tu besoin de quelque chose, Gregor le Surterrien?
- Non,merci,je pense que je peux me debrouiller.
- Nous serons dans le hall si tu requiers notre aide dit Mareth.
- OK,merci beaucoup.
Une fois le Souterrien parti,Gregor sentit les muscles de son visage se détendre.C'était bon d'être seul.
Il inspecta rapidement l'endroit.La salle de soulagement contenait seulement un fauteuil en pierre avec un trou au milieu.En regardant à l'intérieur,Gregor vit de l'eau couler en ruisseau continu.
Oh ça doit être les toilettes ,songea-t-il.
Dans la pièce d'ablutions,quelques marches descendaient vers un petite piscine fumante.Une odeur agréable flottait dans l'air.Gregor n'avait qu'une envie:entrer dans l'eau.Tout sin corps meurtri appelait la chaleur du bain.
Il gagna vite les vestiaires et retira ses vêtements trempés de sueur.Un peu gêné,il urina dans les toilettes,avant de se diriger vers la piscine.Après avoir testé la température du bout de l' orteil, il s'enfonça lentement dans l'eau chaude.Elle lui arrivait à la taille,mais il découvrit que la piscine était bordée d'un banc.Quand il s'assit,l'eau lécha ses oreilles.
Un courant d'air déferla sur lui, dénouant les tensions de ses épaules et de son dos.Il brisa de la main la surface et l'eau coula à travers ses doigts.
Comme l'eau des toilettes,elle circulait d'une extrémité à l'autre de la baignoire.
Ça doit être un genre de rivière souterraine.
Il se redressa à cette idée.L'eau venait de quelque part!Elle allait quelque part !
Si l'eau pouvait entrer et sortir du palais,peut-être que lui aussi.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 06, 2015 ⏰

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