Sombrivage J-10

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Chien était couché à mes pieds, attendant patiemment que je me réveille. Dès qu'il me vit ouvrir les yeux, il sauta au sol et se mit à japper en tournant sur place. Je lui fis un petit sourire et il me répondit par des aboiements joyeux. Je me sentais curieusement bien, le corps léger et l'esprit clair. Sur une table de chevet, placée à côté du lit, je découvris un plateau repas rempli de divers fruits, accompagné par une carafe d'eau claire. Sans me lever, je le pris et le posa sur mes jambes, après m'être redressée contre le mur. Ne connaissant pas tous ces aliments, je commençais par les sentir avant de les mettre prudemment dans ma bouche. Savoureux, sucrés et juteux, après quelques bouchées je passai à la vitesse supérieure, avalant l'ensemble du plateau presque sans mâcher. Heureusement, l'eau fraîche permit de tout faire passer sans que je ne m'étouffe stupidement.
Requinquée, je sortis du lit et inspecta la pièce. Je n'étais pas à l'auberge, plutôt dans une maison particulière, toutefois je ne voyais personne et ne découvrais aucun indice pouvant me donner une piste sur mon hôte. Je m'apprêtais à sortir lorsqu'une femme entra discrètement.
« Fesiaa ! J'espère que vous allez mieux ? Je suis contente de vous voir réveillée car je ne souhaitais pas casser votre repos malgré la situation...
« Bonjour sentinelle Lendra ! Je suis chez vous ? Je m'excuse, je ne sais pas comment j'ai pu arriver ici, je me souviens d'être rentrée à l'auberge et puis... »
Les souvenirs de la veille me reviennent en mémoire comme un poing à la figure. Je baissai la tête, rouge de honte.
« Vous n'avez pas à avoir honte Fesiaa, c'est tout à fait humain. De plus votre... 'pétage de plomb'... a été un déclic pour tout le monde ici. L'abcès a été crevé et l'ambiance semble moins lourde, le deuil commence enfin. On vous doit notre libération émotionnelle, vous n'avez pas à vous en cacher. »
Je ne trouvai rien à répondre, pas vraiment sûre d'accepter le compliment. Subitement je redressai la tête.
« Je suis désolée je n'ai pas encore pu me rendre au camp des réfugiés d' Auberdine ! Il y avait le poison, puis les fantômes, il me restait quelques heures mais... Mais... »
« Je comprends oui. Fesiaa, vous ne pouvez pas être partout, il vous faut lâcher prise. De plus, nous sommes en train de renouer le contact pour l'aide alimentaire. Tout va bien ! Mais j'aimerai quand même que sur votre route vous passiez les voir, ne serait-ce que pour leur porter main-forte sur certaines missions. Il y a bien plus de civils que de soldats donc toute aide sera toujours la bienvenue ! Bon, par contre, certaines personnes vous attendent, notamment Cerellean.»
Je fronçais les sourcils. Ce nom me disait vaguement quelque chose mais je n'arrivais plus à mettre un visage dessus. La sentinelle ressortit rapidement pour retourner à son poste et je fermai la porte derrière elle. Je pensais me rendre auprès de ladite personne puis faire un tour auprès des réfugiés.

Après quelques minutes de marche, je reconnu l'homme que j'avais sauvé, seul face à la mer, debout accoudé sur le balcon de l'auberge.
« Je vous témoigne la plus grande gratitude pour nous avoir sauvés. Je pourrais me considérer chanceux, mais ma bien-aimée, Anaya, est morte depuis longtemps. Je suis seul et profondément troublé, et malheureusement, je dois vous demander à nouveau votre aide. Alors que j'errais dans les bois de Sombrivage après mon sauvetage, je me suis retrouvé dans les ruines de Bashal'Aran... où j'ai vu l'esprit hanté de ma bien-aimée. Elle doit être libérée, mais je n'ai pas le cœur à le faire. Son esprit doit être détruit. »
Cette brutale séparation semblait l'affecter au point que la vie elle-même n'arrivait plus à s'ancrer dans son cœur. Je n'osais imaginer la détresse que l'on pouvait ressentir à la perte d'un être cher, encore moins la torture de savoir son âme errante. La veille, j'avais libéré de nombreuses âmes mais je n'avais pas souvenir de la femme qu'il m'avait décrite. Je lui promis de me rendre immédiatement sur place et de revenir au plus tôt. Une petite mission comme ça de bon matin me permettrait de me remettre dans le bain mais surtout de bien me dégourdir les jambes avant l'arrivée des grosses chaleurs de la journée. Au passage je demandai à l'aubergiste un sac de provisions que je pensais apporter à la guerrière Arya rencontrée la vieille. Alors que je finissais mes achats, la forestière Glynda, que j'avais déjà aidé la veille, vint vers moi. Apprenant que je me rendais à la citée détruite, elle me donna une mission parallèle.
« En des temps comme ceux-ci, nous devons nous arrêter et réfléchir à notre mode de vie. Nous sommes mortels, dorénavant, et même si nous voulons croire que c'est injuste, nous méritons notre nouvelle place en ce monde. Bashal'Aran était une grande ville du temps de nos ancêtres. C'est aujourd'hui la résidence de leurs fantômes maudits. Nous avons longtemps espéré les sauver, et nous sauver nous-mêmes, mais nous les avons laissés souffrir trop longtemps. Il est temps d'éteindre la dernière flamme de Bashal'Aran. »
Son discours rejoignait le ressenti de Cerellean et je ne le compris que trop bien. Éteindre cette fameuse flamme pourrait d'ailleurs permettre à des âmes de se libérer progressivement, n'ayant plus de point de repère dans les limbes. Et, si cela ne pouvait pas être le cas, au moins les ruines cesseront d'être un lieu dangereux pour devenir un lieu de recueillement. J'acceptai sa requête avant de m'élancer vers l'extérieur, humant l'air frais du matin, porté par l'odeur des herbes et de la rosée.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 15, 2020 ⏰

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Les pérégrinations d'une WorgenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant