- Six Sens -

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De nos jours, tout le monde s'accorde à dire que l'être humain est doté de cinq sens. Je ne vous ferais pas l'affront de vous les énumérer, mais il se trouve que moi, pauvre Lorenzaccio, je suis doté d'un sixième : le sens de l'humour.
Il faut dire que ce dernier est fort pratique par les temps qui courent, car les autres ont tendance à uniquement me donner raison sur la nature abominable de mon monde.

Le contact glacé de ma main et de l'acier gouverne mon sens du toucher. Une empoignée grossière et douloureuse, rendue systématique durant mes voyages, car il est connu que les routes sont dangereuses, de jour comme de nuit. Cet acier est celui de ma serpe que j'emploie le plus souvent à rendre autrui plus docile. Bien que de facture plus que douteuse, elle a surtout pour avantage d'être remplaçable par n'importe quelle autre une fois sa triste lame courbée émoussée.

Cette lame, froide et rouillée, emplit aussi d'un sinistre tintement l'atmosphère à chaque fois qu'un de mes pas la fait heurter contre la fine cotte de maille protégeant ma cuisse.
Ce son s'accompagne le plus souvent du hurlement sans fin du vent frappant mes tympans.
Mais le vent du nord ne porte pas que ce vacarme, il peut à de très rares occasions me porter aux oreilles quelques rires ou quelques pleurs, me rappelant que je ne suis pas seul sur ces routes boueuses.

La boue... C'est bien ce qui peut définir cette région du Midland. Je ne me rappelle pas avoir contemplé ces terres sans apercevoir cette créature rampante, attendant calmement sur les endroits de passage qu'un homme fortuné glisse et vienne s'abaisser au niveau du porc de ferme. Si je dois lui reconnaître une qualité ce serait bien celle-là : nous sommes tous au même rang dans la boue, chevalier comme esclave, homme comme bête.

Je sens son appel... À chacun de mes pas je la sens frotter contre mes bottes de cuir rouge pour me donner la même leçon d'humilité que les autres. Son odeur de terre humide à l'extrême comble mes narines, j'en regrette presque celui de la tripaille par moment. Mais je fais confiance à la nature humaine pour me rassasier rapidement, je devrais tomber d'ici quelques lieux sur un champs de bataille fumant ou une famille de fermiers, crucifiés sur le côté de la route, pour avoir probablement prié de la mauvaise façon le même et unique dieu.

J'ai la bouche pâteuse. Un goût de vin coincé dans la gorge depuis des semaines, car l'eau des puits n'est plus gage de bonne qualité. La terre boueuse et imbibée de sang par endroit doit y être pour quelque chose... Alors, quitte à boire de l'eau rouge, autant que cela soit du vin. J'ai toujours eu un sens pragmatique sur ces choses là, car il est connu que le sang vous donne mauvaise haleine...
Mais je béni les guerres au nom de la religion, les carcasses de soldats sont souvent accompagnées d'outres de vin, beaucoup plus qu'à l'accoutumé.

Après des semaines d'errance, un petit village morne aux toits troués et vertmoulus vient se dresser au milieu de la route. Une calamité coincée entre deux montagnes, ayant probablement connu un passé fortuné grâce aux taxes prélevées sur les voyageurs. Mais en temps de guerre ces comptoirs sont les premiers à connaître ses horreurs, et celui là ne déroge pas à la règle. Un panneau indique le nom du village, Glen, je vois d'ici des paysans pleurer dans le cimetière communal. Cela fini de dresser le tableau idéal pour écrire une blague, car si il y a bien une règle que je suivrais toujours, c'est qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer.

La saga du rire noir : Des tombes sans nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant