Prologue : l'évasion

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En entrant dans la salle de contrôle ce matin-là, j'ai demandé à Tanikaze depuis combien de temps le sujet était réveillé. On m'a répondu qu'il avait quitté sa couche depuis un peu plus d'une heure. À ce stade, je n'avais rien constaté d'anormal, si ce n'est que le commissaire scientifique se trouvait dans la pièce. Comme toujours à la même heure, on a servi son repas au spécimen : ce jour-là, c'était deux faux-singes vivants, la nourriture qu'il mangeait avec le plus d'appétit. Il leur a cassé le cou délicatement et nous a tourné le dos pour se repaître. Vatel s'est approché de moi et m'a dit, en se penchant un peu trop :

— Le dernier repas du condamné, hein ?

J'ai demandé des précisions. Pourquoi parlait-il de « dernier repas » ? Alors, Vatel m'a appris que l'ordre venait de tomber.

— C'est aujourd'hui qu'on lui extrait le cœur, a-t-il annoncé d'un ton triomphant.

Il guettait ma réaction. En vain : je ne lui ai rien montré.

— Extraction de l'organe S², Vatel, l'a alors repris le commissaire scientifique sur un ton revêche. Vous serez prié de vous exprimer correctement.

Vatel s'est excusé, mais j'aurais préféré qu'il réitère et prenne une décharge fatale sur son implant terminal. Je l'ai toujours trouvé stupide, de toute façon : je peux le dire, maintenant. Comment un type pareil a-t-il pu obtenir sa certification ?

Je me suis tournée vers la vitre qui nous permettait de voir le spécimen. Je me doutais dès le début de la façon dont il allait terminer, mais apprendre que le jour fatidique était arrivé me faisait un peu de peine. Je ne devrais sans doute pas le dire. Après tout, beaucoup de gens sont morts. Mais c'est la vérité, et vous m'avez demandé de dire la vérité.

La veille encore, j'étais restée plus longtemps dans le labo pour tenter de communiquer avec le spécimen. Cette fois, il s'était retourné et m'avait fait face tout le long de l'expérience, plongeant ses yeux dans les miens. Ce regard miroitant, pur et sauvage comme un soleil. Puis il avait parlé. D'une voix féroce et gutturale, qui chantait la nuit et les ténèbres. Je me souviens encore de la façon dont mes poils s'étaient dressés d'un coup, des tremblements qui avaient saisi mon corps. Ces réactions de peur primaire étaient les vestiges, bien enfouis dans mon cortex reptilien, d'une époque où l'Homme craignait l'invisible qui le cernait, collé à ce feu qu'il venait à peine d'apprendre à allumer. Un temps où l'obscurité était vivante, peuplée d'une horde aussi affamée que menaçante. Des souvenirs ataviques de l'époque où les ældiens étaient les seigneurs de l'univers.

Mais pour le moment, il nous ignorait en silence. Assis en tailleur sur sa couche, occupé à se lécher les griffes qu'il avait sorties de leur gaine pour l'occasion. Il les nettoyait minutieusement, l'une après l'autre. C'était difficile, malgré cela, de se dire qu'il n'était pas du tout humain. Son visage aux traits parfaits, son corps sculptural, sa musculature aussi ciselée que celle d'un dieu antique. C'était vraiment une magnifique créature. Sa longue queue blanche était déroulée autour de lui, mais comme il nous tournait le dos, on ne pouvait pas voir son bas ventre. C'est en constatant qu'il le cachait systématiquement que j'ai réalisé qu'il était sentient et sensible. Un exomorphe sans conscience n'aurait pas cherché à se dissimuler ainsi. Vatel disait qu'il s'agissait d'un réflexe de camouflage rituel de sa part, pour ne pas provoquer les autres mâles ou quelque chose du même ordre, mais moi, je crois que c'était de la pudeur vis-à-vis de nous. Son espèce a toujours été en contact avec les humains. Ils nous connaissent. En tout cas, si en tant qu'organisme mâle, Vatel se pensait assez offensif et bien placé sur l'échelle de l'évolution pour concurrencer un être comme cet ældien, je pense que depuis, malheureusement pour lui, il a changé d'avis.

— Il est loin de se douter de ce qui va lui arriver, a commenté cet imbécile une nouvelle fois. Il se fait les ongles, bien tranquillement... Sans savoir que dans cinq minutes, on le débite en rondelles !

JE BRÛLERAI TON ARMURE 「sous contrat d'édition chez RIVAL」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant