Le dégoûté

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         Je m'étais lassé d'elle ce soir... Nous avions consommé au plus au haut point les pulsions de nos entrailles. J'en avais perdu tout appétit, toute saveur et  passion se sont dissipées dans un troupeau de vapeur cristalisée. Comme un fruit que l'on consomme journalièrement sans répit... Il était temps de se dénouer complètement de ce vide sidéral qui s'était frayé. Elle n'avait plus de couleur à mes yeux. Telle une boîte de conserve vidée de tout son contenu, tel un océan qui avait perdu tout son mystère, Maëlle ne me donnait plus la chaleur glacée d'antan. Son talent d'éveiller chez moi des pétillements et pulsions ardentes avait fait escapade.

         Maëlle s'était rapprochée et s'offrait toute entière au pilote de ce navire aux rondeurs envoûtantes, aux formes biens marquées et presque opulentes. Par un geste machinal et d'une dextérité de fer, je la saisissais, de par la force de mes reins et la puissance de mon échine, je l'a pénétrais d'une chevaleresque ferveur. Elle voulait plus, elle voulait à tout prix réveiller ce démon pétillant  des profondeurs qui, ne cessait de surgir depuis des jours...Puis tout à coup, le dégoût eut raison de moi. Il fut contagieux pour ma chair et ma personne entière. Je regardais ce corps féminin aux formes de guittare exposé dans toute sa nudité, avec les yeux d'un homme dépourvu de ressentiments, emporté peu à peu par la misogynie. Je ne trouvais là devant moi qu'un vulgaire objet, un simple et pur instrument de sexualité qui avait passé son temps, qui était à présent pour moi l'expression d'une désuétude invétérée.
       Comme pour toutes les autres conquêtes, je commençais à m'en défaire royalement. Je me disais qu'il était temps de mettre fin à cette mascarade. Je détestais le rattachement, la fidélité, ce culte de l'unicité, car la vie de couple me répugnait. D'ailleurs je me demandais ce qui m'avait piqué pour m'aventurer dans ce désert stérile en diversité. Il y avait pourtant dans ce monde des centaines et millions de femmes encore plus savoureuses, plus excitantes, d'une vertigineuse diversité, aussi particulières les unes que les autres. Alors pourquoi me limitterai-je à ça... _Je veux dire à elle_? Son simple nom m'ennuyait , elle me procurait déjà un profond et nauséabond dégoût. Tout comme avec mon ex, me voilà incendié par la flamme du rejet, du dégoût. En parlant  de mon ex, d'ailleurs je ne me souviens plus de son nom. Elle m'a quitté parce que selon elle, je ne faisais plus attention à elle, ou quelque chose comme ça, je n'ai même pas bien entendu...

             J'avais la tête blottie dans les nuages. Maëlle s'est retournée avec délicatesse et portait sur moi son regard à la fois mêlé d'anxiété et de passion, cherchant dans cet océan muet et stérile une quelconque lueur émotionnelle. Elle fut hébétée. Pour la première fois de son existence, elle vit nagé là, en moi, un vide vertigineux de la race humaine. Une frayeur colossale l'emporta, elle se senti dévastée par le chagrin. Précipitamment, elle se leva et allât vêtir ses sous-vêtements. J'étais debout, adossé sur la table à l'observer zigzagué dans la pénombre de l'appartement comme une proie désarçonnée. Sapristi qu'est-ce qu'elle semblait gauche!!!
             Je n'ai pas été déçu du fait qu'elle débâillonna  et découvrit cette lassitude et ce rejet profond qui s'étaient emparées de moi... Ce dégoût morbide, puéril et soudain de la chair, des entrailles. J'avais pourtant du respect pour cette femme qui approchait bientôt la trentaine, car elle dégageait malgré tout, une brillante maturité, une énergie d'adolescente et avait une parfaite compréhension des choses, de la vie.
               Maëlle tirait dans la commode une de mes chemises en soie bleue et la vêtit. Sur la table, près du tiroir, elle prit le paquet de popcorn, se jeta dans le fauteuil en face de la télévision, se recroquevilla sur elle-même et sanglota. De toutes les profondeurs de sa chair les larmes pleuvaient, telle une montagne brutalisée par de perpétuelles et violentes pluies.

                  Je m'étais servi une bouteille de bière fraîche dans le réfrigérateur, car Maëlle m'ennuyait sérieusement. Je dégustais ce splendide liquide qui avait sut éveiller mes sens et coulait en moi avec bien plus de fluidité et de saveur que l'éphémère partie de jambe en l'air orchestrée avec Maëlle. J'observais de mon regard désintéressé cette gamine se vider des liquides transparents de son corps, son visage inondé de larme. Pourquoi devrais-je intervenir dans cette danse qu'elle venait d'engager avec les fontaines de ses yeux? Ça me parut si absurde. Ce serai faire preuve d'imposture et de grande immaturité. Car les instants de sanglot pour moi, étaient l'expression d'un précieux moment d'intimité et de cure interne dont il ne fallait en aucun cas perturber. Je me souvins d'ailleurs qu'à mon enfance, je détestais être perturbé ou  cajolé comme les autres dans mes moments de déprime. Qu'est-ce que ça m'agaçait, ça m'étripais davantage!!! Quand je pleurais, je me libérais incontestablement, je rangeais le bordel en moi, je purifiais le ciel obscur de mon âme... Telle une transfiguration, c'était le beau temps après la pluie. J'oubliais et ne m'intéressais plus jamais aux causes de mes naufrages au point que maman s'étonnait, de fois elle souriait, souvent elle venait à me réprimander et parfois même je la sentais être emportée par une vague peur, comme si elle avait posé le regard sur un fantôme. Je sautillais partout et nul ne pouvait soupçonner qu'une seconde plus tôt j'étais le plus déprimé du monde, beignant dans un troublant sanglot, une dépression de mort.

           Maëlle désinvolte,  par je ne sais quelle magie,  avait prise un couteau et entrouvrait les coussins et peluches que je me souvins l'avoir offert pendant ces périodes de gaieté que les personnes trop limitées, assez rêveuses et aux esprits étroits appelaient romance.   Elle me fit penser à ces animaux de la brousse qui  luttaient et devenaient fous à cause de bêtise, de rien du tout. J'observais Maëlle, tout en dégustant ma bière, faire des mouvements et des crises de violence. Je découvrais la colère d'une femme rejetée. Elle se déchaînait sur tout et allait dans tous les sens... Puis, elle pivota vers moi, maculée de larme, les yeux et le visage rouge comme la braise. Elle s'attendait certainement à ce que je réagisse, moi ignorant quoi dire, haussais les épaules et murmurait entre deux gorgées d'alcool:

_ Qu'est-ce qu'il y a petite...Il n'y a plus rien à foutre ici.

         Sans dire un mot, elle ramassa ses affaires, les engouffra dans son sac et claqua la porte. C'était ainsi la fin d'une relation qui avait duré presque deux mois. Une éternité.

         Du haut du balcon du 3ème étage, la bière à la main droite, la seconde dans la poche de mon pantalon en velours blanc, les cheveux bercés par le léger vent qui annonce la nuit, je percevais en bas sur le trottoir Maëlle  prendre un taxi. Je criais dans sa direction " Et ma chemise alors!?", Elle se tourna, tendit son major, le coeur parsemé d'embûches et la voix cassante, striait le silence de la nuit noir de minuit:  ≪ JE TE HAIS !!!≫. J'ignorais ce que ça voulait dire et ça me parut insensé.
         Mon téléphone sonna, je le posais sur mes oreilles.
_ ...Allô!

       La voix qui retentit de l'autre bout du fil transperça mon âme, mes yeux sorti de leurs orbites,  ma respiration s'arrêta. C'était l'appel le plus redouté de toute mon existence. Le message qui me parvint tombait sur mon dos tels les mille dards d'une eau glacée.
      Je m'écroulais sur le sol. J'entendis la bouteille de bière se brisée en mille morceaux entre mes doigts. Tout s'enfonçait dans le néant, dans cette obscurité sacerdotale. C'était le début d'une fin...

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