C'était le crépuscule. Le vieillard Fogang prenait, adossé à la fenêtre d'une des maisons de sa grande concession, entre les deux battants qui ouvraient sur le royaume de Fussep, une gorgée d'eau fraîche puisée dans le Noun(important fleuve dans les Grassfields, mythique pour son rapport historique avec le Nil).
Depuis son repère, il observait de loin, sous le géant et imposant baobab la foule de villageois venu s'entasser, le cœur enthousiasmé, pour coucher sur le lit cosmologique le fameux "Nap"_le dieu soleil_ , qui bientôt, affaibli après cette longue et magnifique journée de dur labeur, devrait à présent prendre son divin repos.
Le vieux Fogang sorti de chez lui en sautillant. Son cri, cristallisant, foudroyant, électrisant, comique, sarcastique à la fois, reflétant le vaste champ de sa personnalité, valait son appellation d' «homme aux milles vies », s'étendait dans toute l'atmosphère du royaume. À son écoute, la foule s'éleva d'un bond telle une marée, tous jubilaient, criaient de joie à l'arrivée du vieux Fogang.
Celui-ci dansait, tel un enfant des pics de Rhumsiki, emplit d'une harmonie aussi mystique que légère dans ses gestes, dessinant dans le vide du monde visible et dans le plein du monde invisible des symboles métaphysiques, tenait des fois les poignées des matriarches jamais affaiblies, boostait la vitalité des plus jeunes, invitait la foule à suivre ses pas de danse, connectait les âmes à la fréquence du Grand Baobab et du dieu Nap. L'euphorie était cataclysmique.
Et voici venu le chant du Coq crépusculaire, annonçant l'arrivée du "Fo'o", le Roi du village. Entouré de ses vaillants soldats, grands comme des dieux, aux regards perçants l'horizon, le Fo'o avançait, de sa démarche de noblesse, prit place en première loge. Tout le monde s'assit, le vieux Fogang s'assit à son tour dans le creux des grandes racines du Géant de la cour, accrochât son tam-tam, appelé "le faiseur de sommeil"au royaume des "Long" et "Berceuse des dieux" ici au royaume Fussep.
Le patriarche prit une profonde respiration, commença à tambouriner dessus, légèrement, délicatement, comme s'il s'agissait des fesses d'un bébé, puis progressivement, le rythme s'accentuait... Le Fo'o ferma les yeux, le vieux Fogang et toute la foule suivaient son geste. Le silence se répandit comme le souffle d'un volcan se répand dans une paisible vallée. Les vibrations sonores émises du tam-tam berçaient le dieux soleil, un troupeau de perdrix se mit à voltiger circulairement autour du Baobab, le dieu Nap s'était endormi.
Le Fo'o se leva, entouré de ses notables. Alluma une mèche, le grand feu au milieu de la cour s'embrasa, illumina les visages animés des plus jeunes et flegmatiques des anciens, puis rejoignit le palais.
Les habitants restés dans la cour, confortablement assis, les yeux rivés vers le plafond cosmologique, les esprits enracinés dans la terre natale et les âmes brasées par les flammes royales, écoutaient à présent la Kamsi, la Grande griotte et gardienne des barrières métaphysiques et mystiques du royaume, venue raconter les prouesses des ancêtres, la magie des dieux et les lois de l'univers.
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LES NONSENS
Conto≪ Ce qui n'a pas de sens n'a point besoin des sens pour exposer la nudité de son sens≫ TAKOUNGANG . _ Dis-mère, où allons-nous? _ Chez nous. _ Où ça chez nous? Au Cameroun? _ Où baigne l'humanité. _ Mère qu'est-ce que ça veut dire? Ça n'a pas de se...