Au Carrefour du marché "B", face à la pharmacie " LE NECTAR", clochardait un individu hirsute qu'on surnommait Boubou.
C'était un personnage au visage à la fois évasif et amusant. Quand Boubou souriait, l'on percevait un arrangement désordonné de ses dents aussi luisantes que les nuages en pleine saison sèche. Il se rendait en moyenne trois fois par jour au forage de la gare de Dschang pour les laver. C'était la seule partie de son corps dont l'hygiène était maîtresse.
Il y avait sur sa tête une sorte de broussaille sombre et poussiéreuse qui lui servait de cheveux, ce genre de nébuleuse jaunâtre et épaisse que nous fait découvrir Hubble dans ses voyages aux tréfonds de l'univers. Ses vêtements à moitié déchirés étaient dignes de ceux d'un être au cerveau ramolli qui n'avait plus aucune richesse sur laquelle s'accrocher dans ce bas monde. Tout ceci contrastait parfaitement avec sa silhouette falote.
Un jour, ce joyeux luron se déplaça dans le marché en sautillant, dodelinant de la tête, émettant des ricanements aigus qui saupoudraient une atmosphère d'étrangeté pour les passants, de gaieté singulière et familière dans le cœur des commerçants.
Tantine Assos, une commerçante de vivres frais venait de tendre une de ses grosses carottes pelée et proprement lavée à Boubou sur ces mots:- Tiens Boubou, c'est pour toi.
Boubou prit de ses deux mains unies la carotte et d'un sourire à banane de lune remerciait hâtivement, en balançant la tête comme on secoue une balle d'exercice de boxe, l'âme généreuse en face de lui et courut, puis bondit dans tout le marché.
Son élan incontrôlé sur toute la place publique était en parfaite adéquation avec son cœur heureux bâtant à la chamade. Il criait et chantait à tous les passants l'étendue de sa joie par rapport au geste de générosité de Tantine Assos.
Bientôt, dans ses débordements de joies folles, un son violant telle la mort, emplit de ses milles lames de terreur, accompagné d'un grincement de pneus sur le goudron, striant les âmes jusqu'à les faire grelotter, annonçait la tragique disparition de Boubou. Les jambes broyés, le crâne fissuré, le sang humectant le goudron, la main pendante laissant rouler sur la voie la grosse carotte... Et sur son visage, le sourire d'un homme qui se défait de l'énorme poids de la vie et qui a le cœur léger, encore plus léger que le pétale d'une fleur porté par le vent.
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LES NONSENS
Short Story≪ Ce qui n'a pas de sens n'a point besoin des sens pour exposer la nudité de son sens≫ TAKOUNGANG . _ Dis-mère, où allons-nous? _ Chez nous. _ Où ça chez nous? Au Cameroun? _ Où baigne l'humanité. _ Mère qu'est-ce que ça veut dire? Ça n'a pas de se...