Maman est restée consoler Marnie tout le restant de la nuit, la câlinant de sa douceur habituelle, et chantant ses berceuses mélancoliques, qui d'après elle, éloignait les sorcières et les mauvais rêves.
À l'aube, la petite fille, épuisée, avait fini par s'endormir, laissant sa lente et calme respiration prendre le contrôle de son corps.
Maman déposa délicatement son enfant dans son lit, l'embrassa doucement sur le front et sortit de la pièce sans le moindre bruit.À cause de sa faible nuit de sommeil, elle se devait de prendre des forces pour affronter sa longue journée de travail qui l'attendait. Elle aurait aimé rester au chevet de sa fille jusqu'à ce qu'elle se réveille mais elles avaient besoin d'argent. Et puis il fallait mieux qu'elle se réveille seule et désorientée que sans toit ni repas.
Elle attrapa une miche de pain sec qu'elle rompit avec force et l'engloutit avec un bol de lait tiède grumeleux.
Mâchant son repas sous les rayons du soleil, elle songea aux cauchemars répétitifs de Marnie. Sa pauvre enfant en souffrait de plus en plus ces temps-ci. Elle ne racontait jamais ses rêves mais la façon dont elle s'en extirpait suffisait à montrer la terreur qu'elle venait de subir.Maman enleva sa chemise de nuit et se regarda dans le miroir. Elle avait encore maigrit. Sa peau blanche et tailladée lui donnait l'air maladif et ses cheveux blonds, rêches et sales, tombant comme de la paille sur son visage creusé par la fatigue la terrifiait. Des larmes coulèrent de ses yeux verts, seule partie de son corps qu'elle eut trouvé attirante par le passé, mais qui désormais ne reflétait plus rien. Elle avait vingt-cinq ans mais en paraissait cinquante.
Séchant ses pleurs, elle enfila son haut délavé, son pantalon taché, son tablier usé, et enfin ses souliers. Puis elle sortit.L'air était frais, les oiseaux chantaient sous la brise matinale tandis qu'un coq les saluait au loin. La rosée du matin donnait un éclat de vie à ce village vieux et délabré. Filou, le chat de Mr. Becquet, se prélassait sur un muret faisant dorer son pelage gris cendre au soleil.
Maman marchait d'un pas déterminé comme à son habitude, faisant claquer ses sandales en bois sur les pavés de la rue, tel les sabots d'un cheval dressé.
En chemin, elle salua la vieille Madame Servis qui, soutenue par son aussi vieille canne, panier en osier à la main, allait faire ses courses d'un pas tranquille.
Peu de monde peuplait encore les rues mais on pouvait entendre le village s'éveiller doucement.Après quelques courtes minutes de marche, Maman arriva devant l'atelier. Un grande porte en bois clair gonflée par l'humidité et tordue par le temps, qui émettait un grincement affreux à chaque mouvement, surplombée d'une enseigne en pierre où était gravé les mots "Atelier de Couture", se dressaient devant elle.
Elle entra. Comme à son habitude, elle était la première arrivée. Elle traversa la pièce à tâtons afin d'ouvrir les volets pour éclairer la pièce plongée dans l'obscurité.
À peine eut elle poussé les battants en bois qu'une tête jaillit sous la fenêtre en un grand cri.
- Waaaah !!!
Maman sursauta et se cogna la tête contre le haut de la fenêtre en un bruit sourd.
- Manon !! gémit-elle en se massant le crâne, c'est pas drôle, j'ai faillit avoir une crise cardiaque !
- Rooh, râla la concernée, n'abuse pas non plus.
Elle fit le tour de la bâtisse et rentra dans l'atelier d'un pas léger, puis se jeta dans le dos de Maman et lança :
- Alors ? Comment va notre chère Madame Valentine Radoin ? Toujours aussi ravissante à ce que je vois.
La jeune mère soupira en repoussant son amie.
- Tu n'as jamais fini de te moquer moi hein ?
- Je ne me moque pas, répondit-elle. Tu es sublime c'est tout, Mère Nature à eu une préférence pour toi c'est indéniable. Je ne suis pas jalouse non loin de là, d'ailleurs c'est à cause de ta beauté que ce sale rat au sourire vicieux t'as engrossé. J'aurais été à ta place je l'aurai retrouvé et forcé à s'occuper de son gosse. C'est insensé quand même de fuir comme ça...
- Jamais tu ne t'arrêtes de parler ? la coupa Valentine. On a du travail alors met toi au boulot. Il faut terminer les commandes du mois sinon on ne sera pas payées.
Manon souffla et tira la langue. Elle contourna le bac à tissus en tournoyant sur elle même telle une danseuse, se glissa sous les étendoirs avec une agilité déconcertante, effectua quelques pirouettes puis s'assit devant son métier à tisser avec la grâce d'une fée, le tout fredonnant une chanson pleine de gaieté. Ce petit grain de folie était ce qui plaisait à Valentine et aux autres filles de l'atelier. C'était un vrai moulin à paroles sans gène mais elle avait le don de mettre de la joie dans leurs vies sinistres. Manon avait de la chance, seulement dix-neuf ans, vivant chez ses parents, et aucun soucis. Elle avait l'air de bien manger à sa faim et était tout les jours en forme. Ses cheveux bruns soyeux, tressés en longues nattes tombant sur un immense décolleté (d'après elle pour séduire Thomas, le fils du boucher), allant de paire avec ses yeux couleurs bois pétillants collaient avec son caractère de petite fille. Son sourire espiègle formé par des lèvres fines et rosés en rajoutait une couche. Elle complimentait tout le monde, se dévalorisant sans arrêt, mais c'était définitivement elle la plus belle du village.
Pendait que ses doigts filaient à une vitesse folle sur un tissu bleu foncé, son visage irradiait d'une concentration implacable. Manon avait décidément trop de qualités pour trop peu de défauts.
- Et bien alors ? déclara-t-elle en levant la tête de son travail. Arrête de me fixer comme ça je vais le prendre pour des avances.
Elle termina sur un clin d'oeil qui fit détourner le regard de Valentine. Celle-ci ne prit même pas la peine de répondre et alla s'installer au près de son métier.
À peine eut-elle commencé que Manon la déconcentra. Comme d'habitude.
- C'est bizarre, dit-elle. Camille et Solène ne sont pas encore arrivé. Ce n'est pourtant pas dans leur habitude d'arriver en retard. À moins qu'elles n'aient rencontré un bel homme en chemin, termina-t-elle avec un sourire malicieux.
Valentine s'apprêtait à lui répondre d'arrêter de dire des bêtises et qu'elles n'allaient pas tarder quand la porte s'ouvra vivement dans un grand bruit, faisant sursauter les deux couturières.
Sur le perron se tenait Camille, haletante, les yeux rougis de larmes.
- Les filles, parvint-elle à articuler entre son souffle et ses pleurs. Venez vite.. c'est Solène elle... elle a été tué..
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