Opuscules

La mort

Elle était belle.

Telle était la phrase que la jeune fille avait en tête en La regardant. Assise à Ses côtés, le regard accroché à Son visage, elle n'osait s'éloigner. Sans doute voulait-elle profiter de faire ce qu'elle ne pourra plus jamais faire à l'avenir. Les larmes lui montèrent aux yeux à cette simple pensée. Essayant de retenir le sanglot qui lui venait, elle s'essuya rapidement les yeux. Il ne fallait plus qu'elle pleure, plus maintenant. Tout était fini désormais, cette vie qu'Elle ne voulait plus, cette souffrance qui s'était brusquement emparée d'Elle il y avait maintenant presque six jours de ça, et cet état d'inertie qui avait fini par L'emporter.

Telles étaient les étapes par lesquelles était passée la Grand-mère de cette jeune fille durant cette semaine, à la fois longue, à la fois courte. Intemporelle, se dit-elle. Ils avaient perdu la notion du temps de la vie, pour mieux suivre celui de la mort. C'était véritablement la première mort à laquelle elle avait dû faire face. Pourtant, elle avait déjà subi le choc du décès de son Autre grand-mère, il y avait plusieurs années de ça maintenant. Mais à l'époque, elle n'était qu'une fillette à qui l'on essayait de cacher l'envers des choses. Aujourd'hui âgée d'une vingtaine d'années, elle avait été assez grande, assez forte pour vivre cette épreuve du début à la fin. Le début de la fin. Mais la fin de quoi ?

Ainsi confrontée à la mort, elle ne pouvait s'empêcher de penser à cet après qui faisait débattre tant d'hypothèses. La vie, la mort. La vie après la mort. Le néant après la vie. Qu'y-avait-il ? Désormais, Elle, le savait. C'était ce que finirait par découvrir chacun d'entre nous, un jour ou l'autre. Mais s'il n'y avait rien, pourrait-on dire que l'on découvre tout de même quelque chose ? Toujours était-il que, s'il y avait véritablement un après, existait-il alors une connexion avec ce monde dans lequel l'on vivait ? La jeune fille s'imagina la silhouette translucide de sa Grand-mère au milieu de ces gens qui la veillaient au soir de sa mort. Les voyait-Elle ?

Telle était la question qu'elle se posait depuis l'après-midi même, peu après qu'elle eut vu Celle qu'elle aimait rendre son dernier souffle. Jamais elle n'avait pensé que cette expression était aussi conforme à la réalité de la mort. Pourtant, dans bien des films les acteurs tentaient de retranscrire cette étape de la vie. Mais cette fois-ci, ce n'était pas un film. En y repensant, était étrange ce sentiment de soulagement qu'avait parcouru la dizaine d'enfants et les quelques petits enfants présents lorsqu'Elle eut quitté ce monde. Mais ce n'était plus une vie, ce n'était plus Celle qu'ils avaient connu. C'était pourquoi, ils L'avaient aidée, par des mots, par des pensées, à s'en aller. Les avaient-Elle entendu ainsi plongée dans ce coma ?

Telle était la première interrogation qui lui était venue à l'esprit lors de son arrivée sur les lieux. En effet, la jeune fille, habitant dans une autre ville à plusieurs milliers de kilomètres d'ici, avait dû partir en catastrophe peu après le coup de fil de sa mère, lui demandant si elle avait envie de venir La voir pour la dernière fois. Elle n'avait pas hésité. C'était d'ailleurs une évidence pour elle d'être là, avec Elle, à ce moment critique. Même si elle n'était qu'une petite-fille parmi tant d'autres, une relation particulière s'était établie entre elle et sa Grand-mère. Elle l'avait déjà dit à multiples reprises d'ailleurs, elle était comme Son enfant.

C'était pourquoi, malgré toute la prévention qui avait été faite par sa famille, la jeune fille était restée interdite en voyant Cette femme âgée, allongée dans un lit médicalisé, une perfusion reliée à la main, de l'oxygène fourni par un masque, les yeux fermés, inconsciente. Mais L'était-elle vraiment ? A ce moment, on lui disait que ce n'était pas tout à fait le cas, car Elle semblait parfois répondre lorsque par exemple, on lui disait d'ouvrir la bouche afin de Lui donner à boire. C'était d'ailleurs en assistant à cette scène qu'elle fut émue de voir cette Conscience se battre contre l'inertie de ce corps défaillant. Mais les entendait-Elle vraiment ? Sentait-Elle vraiment sa présence ? Savait-Elle qu'elle lui serrait la main ? Recevait-Elle tout son amour ?

La jeune fille avait été déçue d'avoir été absente lorsqu'une de ses tantes avait constaté qu'Elle avait ouvert les yeux durant quelques secondes. Ainsi, Elle, n'avait pas techniquement pu la voir avant Sa mort. Dire que cela faisait près d'un an qu'elles ne s'étaient pas vues du fait de la distance qui les séparait. C'était pourquoi, assise à Ses côtés, elle La regardait, photographiant tout ce qu'elle pouvait. Celle qui lui faisait face était tellement différente de Celle qu'elle avait veillée ces derniers jours. Elle n'était plus cette personne malade et souffrante qui avait laissé place non pas à la personne fatiguée qu'elle avait été ces dernières années, mais à une Belle personne.

Cela pouvait paraître idiot, mais la jeune fille n'était pas la seule à le penser. Peu avant qu'elle ne prenne place à Ses côtés, un membre de la famille avait déjà fait remarquer qu'Elle était belle. Le Grand-père, avait quant à lui aussi fait signifier qu'Elle était comme à ses dix-sept ans. C'était donc avec appréhension tout de même qu'elle s'était approchée de ce corps qu'elle avait tant connu. Et ce fut une agréable surprise que de faire ce même constat. Ils avaient raison, tous. Vêtue de ses plus beaux vêtements, entourée de fleurs, légèrement maquillée, Son visage semblait avoir perdu les traits de la vieillesse. Et le plus beau dans tout ça, fut le tout petit sourire que sa bouche semblait former. Apaisée était le parfait qualificatif pour décrire cette femme qui leur faisait face pour la dernière fois.

La mort est sans doute le plus grand mystère de la vie. Tellement d'options sont imaginées pour tenter de répondre aux multiples questions que l'on se pose. Fantômes, esprits, énergies, âmes, paradis, enfer, dimension autre, néant. Pourquoi n'y aurait-il pas quelque chose ? Pourquoi y aurait-il forcément quelque chose ? Et si tel était le cas, était-il possible qu'il existe une influence dans ce monde dans lequel nous vivons ? Ces choses étranges qui nous arrivent parfois, peuvent-elles être du fait de ceux qui nous ont quittés ? Dans une optique de protection, dans une optique de destruction ? Cela ne serait-il pas trop facile ? Que croire, que ne pas croire ?

Un jour, sans doute aurons-nous la réponse à ces questions...