« Le mal existe,
mais pas sans le bien,
comme l’ombre existe,
mais pas sans la lumière. »
Alfred de MussetAprès plusieurs tentatives, je capitule et le regarde rageusement.
Je jette mon briquet sur le sol en tremblant de frustration. Il ne veut pas s’allumer, je ne veux pas renoncer à ma cigarette. Serrant les poings, je mords légèrement le filtre puis ramasse le briquet que j’agite avec colère avant de retenter d’en tirer quelque chose. La flamme jaillit et avec précaution, dos au vent, je l’approche de mon visage et allume le bout de ma cigarette. Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque la première bouffée de fumée pénètre mes poumons. Un long moment, je la garde en moi puis la recrache par petites expirations successives.
En arrivant dans la rue principale, je m’assieds sur le trottoir, et regarde passer les voitures en terminant de fumer. Parfois je me demande si ma vie aurait été différente si j’étais née ailleurs, si j’aurais été aussi seule que maintenant et si j’aurais eu à faire les mêmes choix pour au final me prendre les mêmes claques dans la tête. Peut-être. Subissons-nous la cruauté de la vie parce que nous le méritons, ou bien est-ce un acharnement dans lequel nous n’avons aucun autre rôle à jouer que celui de la victime ?
Je crois que je suis fatiguée. L’état de ma mère m’épuise. Et l’autre imbécile m’épuise aussi.
Comme le quartier n’est pas réputé pour être un lieu très sûr, je reprends ma marche vers sa maison et jette mon mégot dans le caniveau. A quelques centaines de mètres, dans cette même rue, se dessine le toit du manoir. L’épais mur de pierres, les grilles, et les gardes qui rodent à l’intérieur et à l’extérieur de la propriété ne cessent de m’impressionner, même si je viens ici depuis des années. Malgré mon appréhension, je m’avance vers le garde du portail et lui souris pour qu’il ouvre la grille.
- Ava, me salue t-il.
- Bonjour. Il est là ?
- Dans son salon.
- Merci.Contournant la grande fontaine, je vais jusqu’à l’entrée et pousse la lourde porte en bois. Son odeur, son parfum sombre flotte partout dans les lieux. Je me prends à sourire, respirant ces effluves de lui avec la même joie que celle ressentie lorsque je fume, et je ne m’en rends compte que trop tard. Tuant mon sourire, je jette un œil autour de moi. Il n’y a personne dans les parages.
Dans l’immense entrée, je me sens minuscule, sale au milieu de ce luxe. Les grands miroirs me renvoient une image plus terne que ce que je suis en réalité, me jetant au visage cette attitude aigrie que je ne cherche même plus à contrer. Je retiens mon souffle en entendant du bruit dans la cuisine, puis me détends en me souvenant que je ne suis pas entrée ici de façon illégale, contrairement à ce que j’avais l’habitude de faire auparavant.
Mais il y aura toujours ces souvenirs. Ces images qui me hantent. Il y aura toujours ces cauchemars dont ce manoir est le décor.
Avant de replonger dans le passé, je monte les escaliers, me laissant guider par les notes de piano provenant de l’étage. Sans faire de bruit, je pousse la porte du salon et le regarde poser les doigts sur son instrument avec autant de douceur et de ferveur que s’il les posait sur le corps d’une femme qu’il aimait. Malgré la haine que je ressens à son égard, je reste admirative devant son talent. Ses mains parfaites dansent sur le clavier à une vitesse folle, sans faire d’erreur, sans trembler. Ses cheveux blonds fouettent son visage et balaient ses épaules, coupés en cascade sous l’arête de sa mâchoire.
La note finale achève la mélodie. Il reste immobile face à son piano un instant, puis referme le rabat du clavier avant de se retourner vers moi sans paraître étonné de me voir. Nous avons toujours été capables de sentir la présence de l’autre, et ceci sans jamais pouvoir l’expliquer. L’alchimie provoquée par la haine et l’amertume, sans doute. De ses yeux bleus, il scrute mon visage puis esquisse un sourire plus poli que sincère.
- Bonjour, Ava.
- Klaus.
- Qu’est-ce que tu veux ? Ce n’est pas la courtoisie qui t’amène, j’imagine.
- Exact.Difficile à croire que le plus bel homme qu’il m’ait été donné de rencontrer soit aussi le plus détestable qu’il existe. Il est la perfection incarnée, physiquement. Grand et beau, fin et fier. Pourtant, sa personnalité est beaucoup plus imparfaite. Cet homme est une erreur en lui-même. Riche par héritage, par le métier qu’il fait officiellement : il a repris l’agence immobilière de son père qui est aussi la plus grande du marché, ainsi que ses actions. Il arrive à justifier toutes ses rentrées d’argent grâce à ce métier de couverture. Mais moi, je le connais à cause de sa réelle identité, et de son vrai boulot. Et quand on sait tout ce qui se passe en coulisse, le côté respectable de ce presque trentenaire sonne étrangement faux.
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Dans Ton Ombre
Romance" J'ai du mal à reprendre mon souffle et je baisse la garde un instant pour essayer de mieux respirer. C'est le moment qu'il choisit pour bondir sur moi et tordre mes bras dans mon dos en m'arrachant l'arme. Son visage à quelques centimètres du mien...