Des Ténèbres

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Le salon du petit appartement est d'une simplicité presque choquante : une table centrale ronde en bois, trois chaises posées autour et un fauteuil vert. Rien de plus. Les murs sont blancs, vides de décoration et le carrelage est d'un blanc uniforme. La pièce est vide de tous meubles. Cet aménagement tristement sobre a été calculé exprès pour Mathieu, à cause de sa cécité. Moins d'obstacles il y a, mieux il peut s'y déplacer. Évoluant constamment dans les ténèbres à cause d'une malformation, le jeune homme de vingt trois ans a besoin de beaucoup d'espace pour bouger sans se cogner, et ne pas se blesser ou briser les objets alentours. Alors la solution qui a été trouvée fut de retirer les objets en question. A  l'origine de cette aménagement : Belinda. La jeune femme de vingt quatre ans, en couple avec Mathieu depuis deux ans maintenant, est quelqu'un d'efficace : si le moindre problème la gêne elle ou son copain, elle l'évince, purement et simplement. Et cette fois, ce sont les meubles qui en ont pâti. Cette qualité s'est surtout développée chez elle depuis qu'elle est avec Mathieu : avoir un mec aveugle n'est pas une mince affaire, alors il faut savoir prendre les choses en mains. Outre cette efficacité, la jeune femme a aussi un grand pragmatisme combiné à une intelligence froide, contrastant parfaitement avec la douce naïveté de sa moitié, et son empathie sans limite. 

Ils forment sans doute un couple étrange, mais magnifique. 

Mathieu aime inconditionnellement Belinda. A chaque fois qu'il entend le son de sa voix, qu'il sent ses mains sur son corps, qu'il respire à plein poumon cette odeur si spéciale qu'elle dégage, qu'il a en bouche la douce acidité du goût de ses lèvres, ses yeux morts s'illuminent, ses pupilles renaissent comme deux phénix ardents, brûlant d'amour et de vie pour celle qu'il ne verra jamais, pour ce visage flou, perdu au fond de ténèbres insondables, qu'il essaie de recréer le plus fidèlement possible en le touchant. Il en connaît chaque parcelle, chaque morceau, chaque atome. Il pourrait décrire avec une perfection étonnante la douceur de ses joues, la finesse de sa mâchoire ou l'âpreté de ses cernes. Et pourtant, lorsqu'il faut l'imaginer concrètement, il en est incapable. Alors, quand il pense à ce supplice dont même Tantale serait mort de peur si on lui en avait seulement parlé, ses yeux morts, comme des ciels gris jumeaux, versent une pluie, averse, un flot de larmes qui roulent sur le visage de Belinda, érodant cette peau déjà attaquée par les doigts de Mathieu. Et lorsqu'il se met à pleurer ainsi contre elle, délicatement, d'une main sûre, elle caresse sa joue inondée, efface d'un doigt le tumulte de larme, et l'embrasse. 

Ce soir là, Mathieu est assis dans le fauteuil vert. Immobile comme à son habitude, un casque audio sur les oreilles, il écoute tranquillement sa musique, les yeux fermés. Des bruits de pas se font alors entendre. Ils se rapprochent. Une main se pose sur son épaule. 

Ces doigts maigres, cette prise robuste. Il sait à qui ça appartient. C'est elle

- Bonsoir Mathieu, dit Belinda, au creux de son oreille.

- Bonsoir chérie, répond il, en tendant son visage pour recevoir un baiser. 

Tout en s'affaissant sur le fauteuil, et froissant l'étoffe froide du tissu, elle lui colle un doux baiser sur les lèvres. Se levant aussitôt, elle annonce :

- Je sais pas si tu l'as entendu arriver, mais j'ai ramené quelqu'un. C'est Mark.

- Ah non, je l'avais pas entendu. Bah, où que tu sois Mark, bonsoir ! Tu vas bien ?

- Ca va bien ! lança une voix grave, venant de derrière Mathieu. 

- Mais, pourquoi tu l'as ramené avec toi ? demanda-t-il à sa copine.

- Figure toi qu'en plus d'être le meilleur des amis, c'est aussi le meilleur des plombiers ! Il va nous réparer dès maintenant cette satanée fuite et pour pas un rond en plus. 

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