III. un café?

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En bonne écossaise qu'elle était, Alhéna Mckellen détestait l'Angleterre. C'est donc avec une rancœur non dissimulée qu'elle se levait tous les matins, ouvrait les rideaux et soupirait bruyamment devant la vue qui s'offrait à elle. Pourtant, de nombreuses personnes se seraient damnée en ayant la chance de voir de si près le célèbre Fitzwilliam Museum juste en face de soi. Pas Alhéna. Au numéro 24 de la rue Trumpington St, l'ambiance était souvent morose.

Alhéna s'en fichait pas mal, du musée, des peintures ou même de son loft au cœur de la ville historique. Si elle était ici, c'était uniquement pour la fac.

Cambridge.

Elle avait tout donné pour y aller, pour pouvoir avoir sa carte étudiante, pour pouvoir fouiner dans les immenses bibliothèques universitaires. Une fois sa licence de philosophie en poche, elle s'était empressée de continuer sur sa lancée, en enchaînant avec un master dans la fac de ses rêves.

Et voilà que depuis deux ans bientôt, elle se levait, se préparait en vitesse, vidait une boite de pâté dans la gamelle à côté de la fenêtre, et filait à la bibliothèque universitaire. Sur le chemin, qu'elle faisait à pied, qu'il pleuve ou qu'il vente, elle s'arrêtait à Fitzbillies, son café préféré. Elle y avait ses habitudes, et c'est dans ce même café qu'elle avait rencontré Gemma, sa colocataire et ce qui se rapprochait le plus d'une meilleure amie Alhéna.

Alhéna passa en coup de vent à Fitzbillies, commanda comme à son habitude un café Américano à emporter, et se dirigea vers la fac.

Quand elle arriva dans la bibliothèque, le silence régnait; c'était toujours le cas, mais en ce vendredi matin d'hiver, il vous frappait presque en plein visage, tant il était puissant.

Entre les multitudes d'étagères quelques étudiants téméraires avait bravés le froid mordant de janvier pour réviser dès 9h du matin.

La jeune femme posa son sac sur une table déserte, et, café à la main, se dirigea vers la section astronomie. Elle n'était pas familière avec ce sujet, qu'elle jugeait intéressant sans plus, mais un de ses professeurs lui avait conseillé le livre de Damien Gayet, "L'invention du réel", et il avait attiré son intention.

Elle le trouva facilement, et lu le résumé tout en retournant s'asseoir. La tête baissée, elle ne vit pas le jeune homme qui marchait d'un pas rapide et décidé dans la direction opposé à la sienne, et le percuta de plein fouet, renversant au passage son café sur le sac en bandoulière de l'inconnu.

Alhéna pensa "On dirait une comédie romantique, c'est ridicule".

Puis "Il peut pas regarder où il marche cet imbécile?"

Et enfin "Merde, mon café. Connard".

Et elle releva la tête.

Elle croisa les yeux verts de l'inconnu, et fronça ses sourcils en plissant ses yeux gris, juste avant de lâcher un sourire.

"Orion! Désolée, je ne t'avais même pas reconnu!

Le jeune homme en face d'elle sembla perdu pendant une micro-seconde, puis sembla se ressaisir

- Bonjour Alhéna. Qu'est ce que tu fais dans cette section? Ce n'est pas vraiment ton domaine de prédilection, non?

Elle brandit sous les yeux d'Orion le livre qui avait causé la collision, avant d'enchaîner :

- Ce n'est pas mon domaine de prédilection, non, mais il y est lié. L'astronomie et la philosophie sont deux sujets qui s'accrochent à pleins d'autres. Certains de mes profs ont mêmes tendances à insinuer que ce sont les fondamentaux mêmes de nos existences et consciences!

Orion sourit devant l'engouement de la jeune fille. Alhéna et lui se croisaient quasiment tous les jours dans cette grande bibliothèque, ou parfois même à Fitzbillies, son café préféré. Ils ignoraient pourquoi, mais ils avaient commencé à se parler un jour, depuis il se sentait obligé de saluer la jeune fille à chaque fois qu'il la voyait. Elle semblait aussi solitaire que lui, et il aimait ça chez elle.

Il la trouvait intelligente, charmante et, bien que réservée, très passionnée. Il aimait l'entendre parler de philosophie, elle avait des avis bien tranchées mais jamais irréfléchis dont il aimait débattre. Elle était intéressante, du moins assez intéressante pour qu'Orion continue de la saluer quand il la croisait.

Le jeune homme se saisit du livre qu'elle agitait devant son visage, et esquissa un sourire.

- Je l'ai déjà lu. Il est sympa, quoique un peu répétitif. Il devrait te plaire, c'est une remise en question constante de l'humanité, et par extension, de l'être humain.

- C'est vrai? Bon, je le prends alors.

Elle regarda son téléphone, soupira, et releva la tête.

- Je dois y aller, j'ai cours dans 15 min! C'était cool de te voir... Et... Désolé pour le café sur ton sac!

Il la salua d'un sourire, et la regarda regrouper ses affaires et partir. Elle n'avais pas fait trois pas, quand elle se retourna pour lui faire une demande surprenante :

- Tu fais quoi ce soir?

Orion resta muet avant d'hausser les épaules

- Rien, probablement

-Tu voudrais passer la soirée chez moi? Ma coloc invite certains de ses amis, et je vais m'ennuyer à mourir. Si tu viens, on pourra parler de sujets intéressants.

Alhéna espérait vraiment que sa proposition n'allait pas passer pour une demande de rencard ou comme une invitation à être plus qu'ami. Elle allait vraiment s'ennuyer ce soir, un peu de la compagnie d'Orion ne ferait pas de mal aux amis artistes de sa colocataire.

- Je sais pas trop, j'étais déjà à une soirée hier, beaucoup de gens, de la musique forte... J'ai pas tellement apprécié.

- Ce ne sera pas ce genre de soirée ! Il n'y aura que Gemma, ma coloc et deux de ses amis, Violette et Ezekiel. C'est en petit comité.

Alhéna remarqua avec surprise l'expression d'Orion changer quand elle mentionna les amis de Gemma. Elle lu dans son regard un indéchiffrable mélange de peur, de surprise, de colère et d'intérêt. Il laissa un petit temps avant de répondre, l'air de rien :

- Bon, je suppose que ça ira alors. Tu as mon numéro? Tu m'enverra l'adresse."

Alhéna hocha la tête avec empressement, ravie de savoir qu'elle aurait quelqu'un d'un tant soit peu intéressant à qui parler ce soir, puis elle fit un signe de la main et se rendit dans son cours de philosophie des sciences humaines. 

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