Mais tout me ramène à lui

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Un peu à l'écart sur sa serviette, Charlotte avait sorti son livre qu'elle avait tenté de poursuivre mais son esprit vagabondait. Seule, elle ne pouvait s'empêcher de laisser aller le flot de ses pensées. Cet endroit lui rappelait bien malgré elle Sacha; elle savait que c'était inutile de lutter. Il y avait exactement 3 endroits qui la ramenaient toujours à lui et faisaient rejaillir de nombreux souvenirs : la ville de ses parents et plus particulièrement le jardin de sa maison où ils avaient passé des centaines de journées à jouer dans les arbres, construire des cabanes, dormir sous des tentes... Il y avait aussi la maison des parents de Sacha où elle avait passé autant de journées que chez elle et enfin il y avait cet endroit, elle l'avait oublié jusqu'à maintenant.

Ses parents ou ceux de Sacha les amenaient souvent pendant les week-ends ou les vacances sur le bassin d'Arcachon et en général à cet endroit. Sacha et elle abandonnaient leurs parents dès qu'ils étaient arrivés, parcouraient toute la Dune, ils arrivaient près d'une forêt de pins qu'ils franchissaient et se retrouvaient de l'autre côté sur une langue de sable isolée où ils étaient seuls au monde. Petits, ils imaginaient que c'était leur royaume dans lequel ils étaient libres d'avoir leurs règles et leurs sujets: des crustacés de toutes sortes. Pendant l'adolescence ils s'isolaient pour fumer des clopes à l'abri de leurs parents ou boire des bières.

Sacha amenait toujours sa guitare et s'entraînait en testant différentes reprises de chansons sur elle et pendant ce temps elle s'adonnait à sa passion : la construction de vastes châteaux de sables extrêmement sophistiqués : avec douves, donjons, créneaux, pont levis, système d'irrigation à l'eau de mer... Au bout d'un moment Sacha la rejoignait et lui prêtait main forte. A la fin de la journée, une fois leur oeuvre achevée, ils prenaient un moment pour l'observer, la conserver en mémoire et puis d'un coup d'oeil se donnaient le top départ de la destruction : ils se prenaient par la main et sautaient à pieds joints sur le château qui était instantanément transformé en tas de sable. Ca leur donnait un sentiment d'absurde, de fugacité des choses mais également d'un contrôle sur la vie. Ils repartaient alors vers le début de la dune où les parents les attendaient pour partir.

Charlotte se releva et eut une envie irrépressible d'aller revoir ce coin. Elle n'y était pas retournée depuis une éternité et elle voulait voir si ça ressemblait encore à ses souvenirs ou si elle avait idéalisé le lieu. Elle savait que ce n'était pas une très bonne idée, repenser à Sacha provoquait toujours une souffrance, un pincement au coeur qu'elle se traînerait les prochains jours.

En regardant le groupe, elle s'aperçut qu'il ne restait que Florence et Julie, les autres étaient partis s'acheter des glaces. Elle remit sa robe et ses chaussures et reprit son sac puisqu'ils allaient bientôt repartir mais avant elle annonça à Julie qu'elle partait se promener à l'autre bout de la plage.

Charlotte avait marché le long de la plage sentant la caresse du soleil sur sa peau, la douceur du sable sous ses pieds ; elle voulait profiter de toutes ces sensations familières avant de redécouvrir l'endroit de sa jeunesse qui l'attirait comme un aimant. Elle avait fini par traverser la forêt de pins qu'elle connaissait si bien.

Elle était à présent de l'autre côté, au début de la langue de sable isolée où elle avait partagé les jeux de l'enfance et les errances de son adolescence avec Sacha. Elle avait l'impression d'avoir pénétré un monde parallèle, comme si elle avait pu entrer dans un de ses souvenirs. Les yeux fermés, il lui semblait entendre au loin leurs deux rires mêlés, elle sentait l'odeur des pins qui l'enivrait, le sable sous ses pieds, le vent sur son visage si léger à cet endroit. Toutes ces sensations la firent frissonner et elle eu un sentiment d'immense vertige et de tristesse mélancolique. Les huit dernières années passées à construire sa vie semblaient s'être envolées en un instant. Cet endroit la ramenait à la petite fille qu'elle avait été et à l'immense vide qu'elle avait essayé de combler pendant huit ans, celui créé par l'absence de Sacha. C'est elle qui avait souhaité cette absence, elle qui l'avait poussé hors de sa vie et puis aujourd'hui elle savait bien que "son" Sacha, qui n'était lui-même qu'avec elle et ses parents, celui-là avait dû disparaître depuis longtemps. Son ego de superstar l'avait sans doute écrasé pour ne laisser place qu'au personnage public que tout le monde adorait : le gendre idéal, le beau gosse qui avait le coeur sur la main.

Ce ne fut qu'à cet instant qu'elle prit conscience de l'ampleur du vide qu'elle ressentait. Souvent pendant ces huit années, elle avait ressenti ce vide, mais dès qu'elle en approchait le contour, que ses pensées commençaient à effleurer un bord de ce gouffre, son cerveau avait réussi à le contourner, mesure de sauvegarde. Elle ne se sentait pas malheureuse, juste "mélancolique" et elle s'empressait dans ces cas de faire diversion : en allant courir par exemple, ou en téléphonant à une de ses amies... Aujourd'hui, elle n'avait pas vu le terrain miné : quand ses amis lui avaient proposé cette sortie, aucun warning s'était allumé dans sa tête pour trouver un endroit moins familier de son enfance. Elle avait foncé, pleine d'insouciance, au coeur de tous les noeuds, de ces tabous, de cette zone oubliée, amputée, qu'elle arrivait si bien à ignorer depuis 8 ans. Tous ces souvenirs qui remontaient, l'assaillaient, la submergeait, elle en avait le souffle coupé et la gorge nouée. Elle se sentit faiblir et tomba à genoux, ce qui lui fit ouvrir les yeux. En huit ans, malgré tous ses efforts, elle se rendit compte qu'elle en était au même point : la fuite n'avait absolument rien résolu, son histoire avec Sacha restait inachevée et elle devrait un jour essayer d'affronter cette situation, le deuil devait nécessairement dépasser la phase de déni. Elle devrait le contacter pour rétablir un réel équilibre dans sa vie, restaurer leur amitié ou un truc du genre. Mais ça attendrait encore quelques années ! 

Viens me retrouver - romance érotiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant