Premier Orage

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Le tonnerre gronda.

Son ventre aussi.

Helline Mallaury ignora sa faim et reposa son regard sur la pierre tombale face à elle. Deux noms y étaient inscrits : Dolores et Claude Mallaury. Ces deux noms la laissaient indifférente à l'exception d'une légère amertume qui ne l'avait pas quittée depuis qu'elle avait repéré la tombe parmi toutes les autres. Les pierres anthracite aux inscriptions blanches s'étalaient sur une centaine de mètres carrés et étaient toutes parfaitement alignées et disposées à intervalles réguliers. Seules les fleurs flétries ou celles de plastique délavé qui reposaient sagement sur les socles permettaient de les différencier. Tout en observant les riches bouquets des autres pierres, Helline jeta gauchement le sien déjà fané devant elle. Le vent le fit tomber au sol parmi les feuilles brunes et mal à l'aise, Helline se retourna sans un regard pour la tombe décrépie. Elle resserra les pants de son pull et se dirigea à vive allure vers la sortie en notant que les autres tombes étaient bien mieux entretenues que celle de ses parents.

Rien d'étonnant, personne d'autres qu'Helline n'a jamais visité cette tombe lors des vingt-et-une dernières années. Personne ne l'avait visité tout court.

Impassible, Helline se dit que l'ambiance qui régnait au sein de ce cimetière était aussi étrange que l'expérience qu'elle venait de vivre. Puis elle se demanda si l'habitude rendrait la chose plus normale avec le temps. « Probablement. »


Cette visite ne l'avait pas ébranlée le moins du monde. Elle n'avait ressentir qu'une stricte gène propre aux premières fois.

Une goutte de pluie tomba sur sa joue mais ce fut l'averse à sa suite qui força Helline à chercher un abri. La librairie ou elle travaillerait le soir même n'étant pas loin, elle s'y rendit en courant et s'y engouffra par la porte arrière. Essoufflée elle salua ses collègues qui discutaient entre eux, tasses de café à la main puis alla se réfugier dans la réserve avec l'idée d'y rester jusqu'à ce qu'il ne soit son heure. Elle s'assit aussi confortablement que puisse le permettre les immenses piles de livres remplissant la pièce et tout en essorant son pull émeraude et ses cheveux, elle écouta ses derniers messages :

« - Bonjour Helline, j'espère également que tout va bien pour toi, surtout en cette période. Bien sûr cela ne pose aucun problème de déplacer notre rendez-vous pour demain, je comprends parfaitement. Prend soin de toi et met moi au courant. »

Bip.

« - Salut Hel, alors bien sûr je me doute que tu n'es pas disponible pour le moment tout comme tu te doutes de la raison de mon appel. Je te connais, si je t'en avais laissé l'occasion tu aurais refusé. Alors ce soir 22h00, tu viens manger à la maison et c'est non négociable. »


Helline jura et s'avachit sur les magazines au sol.

-De toute façon je finis à 23h00.

En pestant toujours contre son ami elle finit par laisser son esprit divaguer parmi les titres de livre et apprécia cette sérénité propre aux lieux familiers. Cette odeur de vieux papier et de poussière, Helline la connaissait bien pour l'avoir côtoyée les cinq dernières années chaque dimanche jusqu'à 23h00. Son travail se résumait à trier les nouvelles arrivées de livres et elle ne s'arrêtait que lorsqu'il ne restait plus le moindre ouvrage dans les bacs.

Cependant il n'était pas très bien payé ce qui lui posait régulièrement problème mais le quitter lui semblait inenvisageable, il incarnait tout ce qu'elle pouvait espérer d'un job.

Un coup d'œil vers l'horloge fit constater à Helline qu'il lui restait encore deux heures d'attentes avant de pouvoir entamer les trois de rangement. Elle se redressa et parcourut les amoncellements de romans du doigt. Dans cette pièce plus aucune règle n'était appliquée, la mélasse que formait cet amas de livres de différentes couleurs, formes ou matières, tenant les uns sur les autres comme insensibles à la gravité, lui donnait un aspect irréel. La lumière orange, faible et tamisée, n'illuminait que quelques coins, lorsqu'elle n'était pas bloquée par une tour de polars ou de magazine. Mais ces coins illuminés étaient les endroits préférés d'Helline sur terre, coupés du monde.

Au milieu d'un pile d'encyclopédies et de recueils de poèmes, elle tira un livre entièrement blanc, format de poche, dont le titre blanc lui aussi, se lisait grâce à son relief.

Il s'agissait là d'un rituel, découvrir chaque fois qu'il lui restait du temps avant son heure, le bouquin le moins conventionnel de la réserve. Helline passa ses doigts contre les aspérités formant les lettres CHRYSALIDE et retourna le livre pour en lire le résumé mais le lâcha en sursautant.


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