Londres, ville de mon enfance

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Ma mère était née à Londres et avant de rencontrer mon père elle n'en était jamais partie. Mon père était né en France, mais il se disait lui-même « citoyen du monde ». Jeune il avait beaucoup voyagé avec ses amis et puis il était devenu militaire et avait continué à aller aux quatre coins du monde. Il avait fini par se poser à Londres, surtout parce qu'il avait rencontré ma mère. Un jour il nous avait annoncé que l'on allait devoir vivre quelques mois en Irlande à Doolin car il avait une mission. Nous n'avons jamais su vraiment ce que faisait mon père, il travaillait sûrement pour les renseignements, sauf qu'il ne nous l'avait jamais dit.  Ce que nous ne savions pas avant c'est que cette mission allait être la plus éprouvante de sa vie. Au début ma mère, dans l'énervement lui avait dit de partir tout seul, mais il lui répondit qu'il ne pouvait pas, un homme qui vient vivre loin de sa famille quelques mois ça pouvait avoir l'air louche. Louche pourquoi ? Il ne donna jamais la réponse à ma mère. Après des jours à s'engueuler ma mère accepta, après tout quand elle avait décidé de se marier avec lui elle savait qu'il y avait plein de secrets autour de son travail qu'elle ne connaitrait jamais. Elle prit un congé dans l'université où elle travaillait en tant que professeur d'anglais. On partit fin août pendant huit mois dans cette ville que personne ne connaissait. C'était il y a 13 ans et je n'étais plus qu'à quelques kilomètres d'y retourner.

Quand j'arrivai dans notre maison à Londres, mon père me serra dans ses bras, me demanda si j'allais bien avec les larmes aux yeux. Depuis qu'il était à la retraite il était devenu très émotif. Je l'avais déjà vu prendre des médicaments et je me demandai s'il ne les prenait pas à cause de son état. Ma mère fut moins démonstrative, mais je ne fus pas étonnée car c'était toujours le cas, elle s'exprimait moins sur ses sentiments, mais ce n'était pas pour ça qu'elle n'en avait pas ou qu'elle n'était pas inquiète. Avec mon père on discuta de tout et de rien en se promenant dans Hyde Parc. Je découvrais de nouveau ma ville comme si je ne l'avais jamais vu. Même si à Londres il y avait du monde c'était toujours plus calme qu'à New York. L'endroit n'était pas aussi fourmillant de personnes sortant des métros. Je profitais du temps et de mes dix jours chez mes parents. Ma mère cuisinait des fish and chips à mon grand plaisir. C'était un plat simple mais que j'adorais. On passait de nombreuses heures à marcher parfois en se tenant la main comme une fille et son père pouvaient le faire.

Un soir où je n'arrivais pas à dormir je descendis pour aller boire un peu d'eau et manger ce qui trainait dans les placards pensant être seule à cette heure tardive, mais ce ne fut pas le cas. Ma mère était assise un livre à la main. Je savais que quand elle était vraiment inquiète elle dormait peu. Elle me parla longtemps pour savoir si je voulais vraiment retourner à Doolin et revivre les mauvais moments que j'avais vécus. Elle savait à quel point j'en avais souffert et j'avais souvent culpabilisé de tout ce qui était arrivé, j'avais même passé quelques années à faire une thérapie pour aller mieux et puis à force j'avais fini par tout oublier. Ma mère avait peur que je retombe dans tout ça, mais je venais d'avoir vingt-sept ans deux mois avant et je pensais qu'il était tant d'affronter ses démons et de les enterrer. Elle finit par comprendre mon point de vue et l'accepta, mais elle pensait qu'il fallait un dernier détail pour que je sois prête. Elle monta à l'étage et alla dans le grenier pour revenir avec un appareil photo, mon appareil photo. C'était celui que j'avais laissé dans une malle des années plus tôt quand j'avais abandonné l'idée d'être photographe ou journaliste. Il était poussiéreux et très vieux, mais quand je l'essayais il marchait encore. La dernière photo que j'avais prise avant celle-là était celle des papillons au-dessus des falaises de Moher, celle qui ornait au-dessus de mon lit dans ma chambre à New York. Ethan avait disparu et mon envie de photographier avec lui.

J'utilisai deux pellicules pour immortaliser Londres et mes parents.  Ils avaient l'air tellement heureux ensemble et j'espérais un jour trouver ce bonheur que tout le monde cherche. Ma mère avait l'air inquiète le jour de mon départ, je pense qu'elle espérait que je change d'avis et que je n'aille pas à Doolin. Elle m'avait sûrement donné l'appareil photo en pensant que ce simple souvenir me comblerait et me faire oublier la raison de ma venue, mais ce n'en fut pas le cas. Elle lançait parfois des regards en direction de mon père pour voir comment il allait. Quand il souriait il avait l'air d'un enfant innocent. J'avais décidé de prendre l'avion puis de me déplacer en bus, même si j'avais envie de retourner à Doolin je n'étais pas pressée et je voulais aussi profiter du voyage. J'arrivais en fin d'après-midi dans la capitale irlandaise avec une petite valise à roulette comme seule amie. J'avais pris un gros bagage pour venir à Londres, mais j'avais laissé une partie de mes affaires chez mes parents car de toute façon je comptais passer de nouveau chez eux avant de reprendre ma vie à New York. Je décidais de profiter de la soirée à Dublin pour ne partir que le matin. La fête battait son plein comme à son habitude. Je n'étais pas du genre fêtarde, mais j'aimais savourer l'ambiance qui régnait dans les temples bars. Tout le monde dansait, chantait, criait et je me mis à rire quand deux hommes et une femme entamèrent quelques pas de danse sur une table, ils me proposèrent de venir avec eux, mais je n'avais aucun talent pour la danse et je les laissai faire.

Ce soir-là, je retrouvai ma chambre d'hostel tard dans la nuit et ne dormit que quelques heures. Le lendemain, j'eus bien de mal à me réveiller pour prendre mon bus, mais je me dis que j'allais dormir à l'intérieur pendant le trajet et me reposer. Moi qui avait prévu de profiter des paysages verdoyants, je m'endormis vite et ne profita que du ronronnement du moteur.


L'envol des papillonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant