Jour 2

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Jour 2, quarante-huit heures

Il faisait froid. Atrocement. Si bien que mes muscles en étaient endoloris et ma pensée tout autant. Je ne l'avais pas revu, il s'était aussi rapidement dissipé qu'un rêve amer. Je commençais presque à me demander si cet épisode féerique était le fruit de mon imagination, d'une douce et douloureuse hallucination où l'esprit fabule sous un trop plein d'afflux de sang. Il ne m'avait pas dit davantage que ces quelques paroles brumeuses hier, au fin fond de la forêt, je restais encore assoiffée de ses mots, comme un besoin récalcitrant d'en connaitre davantage de lui. Ces propos m'avaient chamboulé, désarmé, si bien que le matin suivant, j'en demeurais encore imbibée, inhibée, envoutée. Je n'avais pas la constance de son inconstance, je ne parvenais pas à saisir ce qu'il cherchait à me faire comprendre de son timbre céleste. Et pourtant, voilà que j'étais debout, errant au beau milieu de ma chambre, les yeux encore fermés d'une nuit bien courte, les images de la veille se jouant en un théâtre interminable au fond de ma boite crânienne. Arthur. Je quittais ce matin-là, précipitamment la maison familiale. Elle était bien vide. Je me voilais la face en me convainquant que tout allait bien, que ma mère aimait toujours mon père et que l'inverse allait de soi. En vain, ils jouaient tous le rôle qui leur avait été distribué, tentant à la perfection d'être ce qu'ils pensent devoir être. Une belle et incroyable supercherie. J'avais cessé d'y prêter attention à partir du moment même où mon père prenait l'excuse toute faite d'avoir trop de travail et que rentrer tard lui était obligatoire, ou alors, c'était lorsque ma mère a commencé à passer ses journées à pleurer le fantôme d'un amour passé, révolu, plastifié sur le réfrigérateur en photographies.

C'était sans m'en rendre compte et par la seule force de mes pieds guidés par un inconscient troublé par le chaos, que je me retrouvais à l'ancienne gare de la ville. Lieu abandonné depuis plusieurs dizaines d'années où la nature avait repris tout naturellement ses droits, comme ça lui revenait. Entre graffitis, vitres explosées et cadavre de bouteilles, je déambulais sans but précis au travers de ce lieu oublié du temps et des gens, croyant candidement que c'est ainsi, en âme perdue que j'allais trouver des réponses à mes questions, à mes interrogations sur lui. Arthur. Mais là était le problème, je ne savais rien à propos de qui il était, même pas un prénom, même pas une minime information qui pourrait me crier une ébauche d'analyse, tout ce que je pouvais affirmer, à présent, avec la lucidité de la nuit, dans cette euphorie du jour, était qu'il avait un goût pour la destruction autant que pour les astres. Si bien qu'aujourd'hui, je pouvais clamer haut et fort, que j'ai connu le bigbang, l'explosion suprême, la collision d'un astéroïde dont je ne pouvais me défaire de son sillon, car l'attraction, était bien trop forte. Arthur. Il a détruit mon monde, me bousculant dans mes retranchements, mes croyances, mes principes. Lui, c'est une tempête lunaire.

Enfermée dans mes songes depuis bien trop longtemps, là, dans ces ruines d'acier, je tentais de reprendre le contrôle sur moi-même, sur le moi qui se perds lui-même dans un flot de pensées qui, peu à peu, le noie sous un trop plein de mots, d'images, de sensations. J'ai le cœur qui se serre. J'allais quitter les lieux, comme si je n'y avais jamais mis les pieds, en fuyant ce qui m'avait conduit ici, Arthur. Et ce fut comme si mon corps m'avait laissé tomber, mes genoux se dérobaient sous mon propre poids, je rencontrais le bitume tendrement, puis, terriblement, je n'arrivais pas à discerner le vrai du faux, du visible de l'invisible, du plausible de l'improbable, mon prénom. Elizabeth, voilà ce qui me faisait face. Je me prenais une claque monumentale, mon prénom était écrit en lettres majuscules sur le wagon juste devant moi. Je perdais pied, je perdais tout, c'était un acte du ciel, du destin, n'importe quelle instance quelle qu'elle soit, je me retrouvais nez à nez avec mon prénom, avec moi-même, comme si, d'un certain côté, je m'étais retrouvée, on m'avait retrouvé. J'étais sur la bonne voie.

Mise devant le fait accompli, je n'arrivais plus à me défaire de cette image, de ce corps métallique dont mon prénom ornait à présent de tout son long, un bout de moi, le plus visible, évident était à nu face à l'immensité du monde, j'étais à nu. Et à présent, passée l'euphorie, la consternation, je me demandais qui avait pu faire ça, dégrader, bafouer rien que pour y inscrire à la peinture rouge, E.L.I.S.A.B.E.T.H mot constitué de huit lettres, quatre syllabes, cinq consonnes, quatre voyelles, prénom emprunté à ma grand-mère maternelle. Mon prénom contre l'univers.

Je m'apprêtais à partir, c'était trop, une accumulation trop vive, trop pleine, je ne pouvais demeurer ici plus longtemps, face à ce que j'étais. Je me levais, encore tremblante et désorientée par ce que je venais de voir. Dans ma tête, régnait un capharnaüm total, je devais fuir, et oublier, c'était sûrement mon imagination qui me jouait des tours, j'avais oublié mes médicaments.

Dans le comble de cet instant, j'apercevais au loin sa silhouette se fondre dans l'espace glacial qu'instaurait la taule et le fer, Arthur, son corps se mouvait en un numéro d'acrobate sur les rails, les bras à moitié levés, titubant sur ses pieds une cigarette à la main dont la fumée l'entourait d'un voile. Je devais encore m'imaginer des choses, prendre mes rêves pour réalité, c'était impossible que ce soit lui, je n'aurais pas cru à la coïncidence, ni même au hasard, si c'était bien lui, la chimère jouant au funambule sur le métal rouillé, je crois que j'imploserais en mille morceaux à la façon d'un miroir qu'on laisse tomber violemment sur du carrelage. Dans un instant d'inattention, mes yeux cherchaient l'heure sur ma montre, huit heures moins le quart, il y avait au moins une chose dont j'étais sûre à présent, c'était que le temps ne s'était pas arrêté, et que j'étais toujours ancrée à une réalité. Je relevais alors mes yeux vers lui, le cherchant du regard, le voltigeur des étoiles, mais rien, plus rien. Il avait disparu en une fraction de seconde, emportant dans sa chute mes doutes et interrogations. J'ai alors couru à sa recherche, suivant l'interminable chemin de fer qui serpentait le long de la route nationale, en vain, il s'était volatilisé. Et moi, je m'étais épuisée à traquer de la poussière d'étoile.

L'air me manquait, mes poumons m'arrachaient une rafale de râles, je n'ai jamais été une grande sportive et mon corps savait bien me le montrer à cet instant où je devais user de mes plus profondes ressources pour le courser. Perdue au beau milieu de la voie ferrée, j'hésitais à rebrousser chemin, à faire demi-tour et rentrer chez moi pour écrire. Afin de mettre sur papier ce que je ressentais, ce qui me travaillait, ce qui m'empêchait de dormir la nuit, parler de lui, parler d'hier. J'avais une peur bleue de l'oubli, que peu à peu ma mémoire se désagrège et que tous ce qui a compté pour moi à un moment ou un autre s'échappe et disparaisse à tout jamais. C'est pour ça que j'écris, que chacune de mes pensées étaient couchées sur papier à l'encre noire pour que rien ne s'efface.

Décidée à partir, j'allais tourner les talons mais lui, en avait décidé autrement. Sa voix, détruisit le silence en l'emplissant de son timbre éraillé. Ce qui fit frissonner l'entièreté de mon échine, c'était impossible. Je pensais rêver, et pourtant, il était là, l'émetteur du son se trouvait assis en haut du pont ferroviaire, les deux jambes balançant dans le vide.  Mon regard se figeait sur l'ombre informe qui se dressait devant mes yeux, je ne parvenais qu'à discerner ses bras accoudés à la rambarde verte.

« É-li-za-beth. » me disait-il d'un sourire dont lui seul avait l'habitude, le genre de sourire qui naît de la commissure des lippes pour s'étendre jusqu'aux pommettes.

« L'étranger. » avait-je répondu, incapable d'aligner plus tant la situation me déconcertait.

« Toi aussi t'aimes te perdre ici ? C'est un endroit magique, j'ai toujours l'impression d'appartenir à une autre dimension ici, comme si j'étais coupé de toute temporalité. Et bordel, qu'est-ce que ça fait du bien de lâcher-prise. » Expliquait-il, tandis qu'il se redressait de son point d'observation, gardant tout de même cette distance de surplomb qu'impliquait la hauteur du pont.

« J'avais besoin de réponses à mes questions, et c'est qu'ici que je parviens à retrouver les idées claires, à tout remettre en ordre. Et étrangement là, je tombe sur toi à croire que tout me mène à toi, et moi, je ne crois pas au hasard. C'est comme si, à ce moment précis, tu me devais une réponse, que tout était aligné pour qu'on en arrive là, que j'ai le fin mot de mes interrogations. Qui es-tu ? »

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 23, 2020 ⏰

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