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Armée de victuailles à grignoter, Exaucé entre dans le salon et tonne :

— Tiens !

Sur le canapé, Mahdi détache une seconde les yeux de son MacBook afin d'attraper les verres en inox.

— Bien vu.

Il met ensuite la main dans le bol de popcorns lorsque la congolaise attrape la télécommande. Deux-trois clics plus tard, la voix rocailleuse et brumeuse de Lala &ce retentit dans le salon et l'hôte de la maison pioche à son tour des popcorns, un œil scotché sur le Mac de son invité. Depuis la dernière fois, la jeune femme et le bonhomme se sont revu tous les jours pour des captures improvisées à travers la cité. Si Mahdi exècre les contours de ces blocs insalubres et insipides, ces photos qu'il inspecte sous ses yeux ont pourtant l'air de le ravir.

— Putain, elles sont incroyables ! s'extasie la jeune femme lorsqu'elle découvre les premières photos sur l'écran.

En cinq jours, Mahdi a épuisé sa pellicule de trente-six poses qu'il déposait il y a deux jours dans un labo situé au sortir de la station Jacques Bonsergent. Tout à l'heure, le dossier WeTransfert popait comme convenu dans sa boîte mail et un quart d'heure plus tard celui-ci débarquait chez Exaucé.

— En vrai, t'as pas besoin d'les retoucher, non ? lui demande-t-elle. Puisqu'il y a déjà l'effet granulé, un peu texturé là.

— Ouais, le labo fait déjà le gros du boulot et j'avoue que c'est un taff en moins par rapport au numérique, où là je m'occupe de tout, lui répond Mahdi.

Quand Exaucé laisse tomber sa tête sur son épaule, ses muscles se crispent sous son T-shirt. Elle repart ensuite :

— Par contre, des ratés y en a pas mal aussi.

Alors que la chaleur de son corps se répand jusque dans sa chaire, Mahdi déglutit avant de répondre :

— C'est un peu l'inconvénient de l'argentique. Quand tu prends tes prises, à part la garantie de tes réglages, le reste c'est à l'aveugle puisque y a aucun moyen de voir c'que tu prends. Mais, en même temps, je trouve que ça pousse à être plus rigoureux sur ses prises, mais aussi plus observateur, sans tout de suite se précipiter sur son appareil. Ça force la patience, j'sais pas si tu vois ce que j'veux dire ?

Mahdi se tourne vers Exaucé. Elle acquiesce simplement alors que ses joues sont à deux doigts de finir roses. Elle ne se lassera jamais de cette passion qui luit -non, danse !- dans les yeux du bonhomme lorsqu'il parle de son amour pour l'image. Mahdi s'éclaircit la voix et demande :

— Ils arrivent quand les autres ?

Il se sert un verre de jus.

— J'ai envoyé un message à Younès. Ils ont fait une escale à l'épicerie. 

En quelques jours, Mahdi est devenu le sixième membre de cette petite bande foulant les raccourcis sinueux de la cité ; et ça, toujours entre un tour au centre commercial, une chicha sur le toit de la tour bleue, un ciné au MK2 de la BNF, ou encore une après-midi de galère sur les sedaris marocains d'Hanane et Hamza. Aujourd'hui, c'est chez Exaucé que l'équipe a élu domicile alors que la maison est bien silencieuse pour une fois. Sa mère est au travail, Désirée et Eden sont chez le pédiatre, et les jumelles chez leur papa.

Mahdi reçoit un Snap. C'est Ju. Surnom de Juliette. Il verrouille son téléphone en se promettant de répondre plus tard. D'abord, c'est pas très sympa de scroller quand on accorde déjà son temps à quelqu'un, mais il ne voudrait pas non plus que la congolaise tombe par mégarde sur le nude d'une blonde aux yeux pommes-verts. Il faut dire que Juliette se la joue coquine ces derniers temps -pour le bonheur de Mahdi, sa paume de main, et sa baguette magique.

Souvenirs, entre les tours.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant