6. Pourquoi elle. (Carlier)

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Pourquoi elle ? Parce qu'elle est parfaite...

Alison est jolie, en tout cas, elle a tout pour l'être si elle daignait faire des efforts en se préparant le matin. Son regard noisette, tirant sur le vert sous une luminosité importante, n'est jamais relevé de quelques traits de maquillage. Il serait pourtant facile de les mettre en avant et d'en faire un atout. Bien plus si elle osait lâcher ses cheveux bruns, presque noirs, pour créer un contraste. Quelle idée de toujours les emprisonner dans un chignon fait en moins de deux secondes ?

La graphiste n'est pas un mannequin. Pour en avoir la silhouette, il y a quelques kilos à perdre. À vue de nez, je dirais qu'elle entre dans une taille 40 et je me trompe rarement à ce sujet. Toutes mes conquêtes secrètes qui ont défilé n'ont jamais dépassé le 38, Alison n'est pas de celles sur qui je me tournerais en temps normal. Mais, elle est madame-tout-le-monde, celle à qui on s'identifie le plus. D'autant plus quand on sait que la jeune femme ne provient pas d'une classe sociale avantageuse. Ça ne peut qu'aider mon image en me montrant encore plus accessible. L'amour n'a pas de frontière, pas de distinction de castes. L'amour est beau et ne se préoccupe guère de l'apparence ou d'un compte en banque. C'est ce que l'on vend. Ce que je vends.

Un autre avantage réside dans son besoin d'argent, celui qu'elle a mis en avant pour quémander une augmentation. Je n'ai qu'à croiser les doigts pour que cela soit suffisamment important afin qu'elle accepte. Quand les gens sont demandeurs, ils sont moins regardants sur les conditions et disent oui à tout et n'importe quoi.

Cependant, la vraie force d'Alison Bertin, celle qui la rend intéressante à mes yeux, vient de sa manière de me détester. Je n'ai pas envie d'une greluche qui va espérer que ça aille plus loin qu'un emploi : autant éviter les crises inutiles et l'hystérie dont seules les femmes sont capables.

Alors, si je devais me montrer franc face à sa demande, ma réponse serait : parce que vous êtes parfaite dans votre médiocrité. J'affiche un sourire à cette pensée, sûrement perçu comme une forme de provocation.

       — Vous avez besoin d'un meilleur salaire et j'ai un travail qui peut vous l'apporter. Votre question n'a pas lieu d'exister, vous ou une autre, c'est exactement la même chose.

Pourquoi elle ? Typiquement féminin comme interrogation. Les femmes ont cette faculté prodigieuse de toujours se mettre en compétition et ce besoin d'être rassurées. Parce que sa question n'a qu'un objectif, n'est-ce pas ? Celui d'entendre une suite d'éloges qui m'ont poussé à la choisir elle plutôt qu'une autre. Je ne lui donnerai pas cette satisfaction, préférant de loin cet air contrit qui s'affiche sur ses traits. Il vaut bien mieux que cette assurance qu'elle m'explosait au visage quelques instants plus tôt.

Alison reste silencieuse et je ne saisis pas pour quelle raison elle semble en proie à un dilemme. Nous avons tous deux un besoin que l'on peut combler. Pourquoi hésiter ? Je suis rarement aussi équitable dans mes offres. Ses sourcils se froncent, sa lèvre inférieure se coince entre ses dents et elle réfléchit. Encore et encore. Cette femme me demande des trésors de patience, sans même s'en rendre compte.

     — En quoi cela consiste exactement ? se décide-t-elle enfin.
     — Essentiellement à se montrer à quelques soirées où il est bon d'apparaître pour les affaires et jouer les couples modèles.
     — Il s'agit bien de faire semblant, n'est-ce pas ?

Sous son air incertain, ses joues prennent feu et ses yeux osent à peine m'affronter. Tant de pudeur dans un si petit corps, cela pourrait être touchant si ce n'était pas aussi exaspérant. À sa question se répercute mon rire. Bref, ironique, moqueur.

     — Bien évidemment !

Son expression gênée fait place à une indignation. Alison est vexée et je me félicite d'avoir songé à reprendre le stylo en même temps que le contrat de confidentialité. Elle aurait été capable de me crever un œil avec. Du moins, j'imagine que ce scénario a traversé son esprit.

     — Combien de temps devra durer ce mensonge ?
     — J'ai prévu deux semaines pour les préparatifs, que l'on s'accorde sur le rôle à jouer et comment le faire. Durant cette période, le contrat pourra être rompu par l'un ou l'autre à tout moment. Ensuite, c'est une mise en pratique d'un mois qui couvre tout décembre. Aucune marche arrière possible dans ce laps de temps.

Je dois parfaire mon image, pas me faire faussement larguer avant les fêtes de fin d'années ! Bertin continue de cogiter, une lueur hallucinée dans le fond de ses rétines.

      — Vous voulez dire qu'il existe des contrats pour ce genre de propositions ? se moque-t-elle en secouant la tête.
      — On écrit des contrats pour tout, soufflé-je ennuyé. Il y aura des règles à respecter.
      — Et vous payez combien pour cela ?
      — Mille euros par semaine sur la première période. Dix milles pour le mois complet.
      — Quoi ?

Elle s'étouffe de surprise et je commence à m'interroger sur d'éventuels troubles auditifs. Le genre de vices cachés que l'on ne peut pas déceler lors d'un premier examen. C'est maintenant qu'Alison va me répondre oui, sans réfléchir à quoi que ce soit d'autre. Agitez une somme que la plupart trouvent astronomique et c'est gagné.

      — Bordel ! Quelles sont vos fichues règles pour débourser autant d'argent ?

D'accord... Peut-être qu'elle raisonne un peu plus que la moyenne.

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