Les élèves rentrent au compte-gouttes dans la salle d'histoire-géo. Je leur dit bonjour, habitué à ne pas recevoir de réponse.
Ca fait dix ans que j'enseigne dans le même collège de banlieue. Dix ans que je vois des élèves rater leur brevet et retourner dans ma classe. Dix ans que les petits de sixième deviennent des brutes de troisième. Dix ans que je reçois des insultes au visage et que je fais semblant que ça ne m'atteint pas.
Je suis fatigué. Je commence mon cours, ma voix essayant de se frayer un chemin dans le brouhaha général, mais je ne crie pas, je ne crie plus. J'ai appris que ça ne sert qu'a s'attirer des ennuis avec les élèves les plus tête brûlée.
Deux boulettes de papier rebondissent contre le tableau, je fais semblant de ne rien voir.
L'aiguille des minutes avance, la cloche sonne, les élèves partent, d'autres reviennent. Tous les jours la même chose.
L'avant dernière heure de la journée, avec les quatrièmes deux, je regarde ma montre. Il reste cinq minutes. C'est presque fini.
Soudain, une alarme retentit. Mon cur fait un bon, et il me faut deux secondes pour reconnaître quelle est cette sonnerie. C'est l'alarme intrusion. Bon. Puis mon cur fait une deuxième embardée quand je réalise qu'aucun exercice est prévu pour aujourd'hui. Alors la panique me prend à la gorge. Malgré tout, je réussis à élever ma voix au dessus du vacarme de mes élèves de quatrième qui pensent tous que rien de grave n'est en train de se passer.
"Ahmed, Yassine, aidez-moi à bloquer la porte avec le bureau. Sandra, Emilie, tirez les rideaux. Tous les autres, à plat ventre sous les tables, ce n'est pas un exercice !"
Tous ont tourné la tête vers moi, le visage décomposé. Pendant deux secondes, le silence se fait, et je me surprend à apprécier ce moment, mais la réalité des évènements me rattrape et je leur lance le regard le plus éloquent possible pour qu'ils comprennent.
Les élèves cités accourent pour remplir leur rôle et chacun se précipite sous sa table.
Après cet instant d'agitation, le silence reprend sa place, plus lourd que jamais. Les respirations s'accélèrent, les larmes montent chez les plus fragiles, et chacun tressaille au moindre bruit.
Le temps avance d'une lenteur incroyable, et je le passe essayant de réconforter à voix basse les enfants.
En soit, faire cela me rassure aussi. Car la mort ne me semble plus si lointaine après réflexion et je me prend à regretter certains moments de ma vie, qui n'a pas été aussi excitante que je l'aurais pensé. Il suffit d'un hasard, d'une coïncidence pour se retrouver dans cette situation, et je trouve cela tellement injuste. Pas tant pour moi, mais pour ces adolescents qui méritent une jeunesse digne de ce nom. Plus la peur monte dans les curs, plus mon affection grandit étrangement pour eux. Ils ont beau être fatigants, il n'empêche que nous ressentons tous la même chose, que les mêmes pensées étranges nous traversent, que toutes nos vies ne tiennent qu'a un fil après tout.
Je déambule à travers la classe à quatre pattes, murmurant les paroles les plus rassurantes possible, et tout à coup, une idée me passe par la tête.
"J'imagine que tout le monde a un téléphone. (la classe hoche la tête) Prenez-le. Informez les gens extérieurs à l'école et en qui vous avez confiance de ce qui se passe, et surtout, gardez vous bien en tête que tout va bien se passer. On va se sortir de là."
Tout le monde s'exécute.
Une heure s'écoule. Puis deux. Certains se plaignent de crampes, d'autres se sont recroquevillés sur eux-mêmes, appelant leurs parents à voix basse.
Tout à coup, un gros "boum" retentit dehors. Quelques cris s'ensuivent, et le silence reprend ses droits. Tous les élèves sont accrochés à leur téléphone comme à leur vie et aucun ne parvient à retenir ses larmes. Une minute plus tard, quelqu'un toque à la porte.
Je retiens ma respiration, mon cur battant beaucoup trop fort à mes oreilles. Un homme dit :
"Sortez ! Tout va bien, c'est la police !" Je reconnais que sa voix est assez accueillante, mais je reste méfiant, sachant très bien à quel point les terroristes peuvent être sereins de leurs actes.
Je déplie mes jambes et avance à pas de loup vers le battant en bois, faisant signe aux élèves de ne pas faire de bruit. Je déverrouille la porte avec précaution et déplace le plus discrètement possible le bureau qui la bloquait. Je finis par l'entrouvrir, et je manque de tourner de l'il quand je réalise que l'homme a une arme. Mais je me détend immédiatement dès que je reconnais l'uniforme bleu de la police. C'est le plus beau bleu que j'ai jamais vu. Un petit cri de soulagement m'échappe, et je me tourne vers mes élèves, le regard bienveillant.
"C'est fini."
Tous se regardent, peinant à réaliser ce qui se passe. Puis finalement, ils se lèvent, un par un, et se prennent dans les bras. Je regarde cette scène plus qu'émouvante de loin, fier de mes élèves, jusqu'à ce qu'une fille s'approche de moi, et m'embrasse de toutes ses forces. Je lui rend son étreinte, les yeux humides.
Ellipse de deux mois
"Bonjour Yassine ! Comment ça va aujourd'hui ?
- Ca va monsieur, merci !
- Sandra ! Tu n'as pas oublié tes affaires cette fois j'espère ?
- Non monsieur ! J'ai même fais mes devoirs !"
Je commence mon cours avec entrain. Toute la classe de quatrième deux m'écoute, heureux d'appendre.
Je leur transmet tout ce que je peux, et ils me rendent la pareille. Car nous savons désormais que chaque instant est compté, et chaque jour peut être le dernier.
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POV : Un prof et ses élèves, et une alarme (n'importe laquelle) sonne.
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Plein de bisous, et à la prochaine !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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