Écoutez et retenez mes paroles. Elles viennent du fond du coeur et reflètent ma douleur, celle d'avoir perdu celui qui fut mon père, mon maître et mon conseiller. Elles narrent la geste de Maloba à la voix d'or, le plus illustre des griots.
Écoutez les annales de celui que l'on surnommait jadis le cygne d'Afrique. Nul autre sur Terre n'eut et n'aura son talent. De ses mots, il ravissait les coeurs et soulageait les blessures les plus profondes. Sa voix cristalline, pure délice auditif, comme la boisson des dieux, réveillait les inconscients. Aucun instrument à cordes n'avait de secret pour lui. Ses doigts créaient une musique douce jalousée par les musiciens les plus virtuoses.
De par une belle nuit de pleine lune, Maloba à la voix d'or naquit sous le chaume. Les astres, reconnaissant la venue d'un tel prodige, bénirent et annoncèrent sa naissance par une pluie d'étoiles filantes, qui se déploya dans le firmament dans le monde entier. Usanii, le dieu qui préside aux arts de la musique, de la poésie et de l'éloquence le reconnut et l'oignit comme son filleul.
Au matin de sa vie, ses dons pour la musique et son éloquence se manifestèrent. Rien n'était plus réjouissant pour ses contemporains, qu'ils fussent jeunes ou vieux, que d'entendre sa voix mélodieuse.
Au deuxième temps de sa vie, il fut connu, de tous les recoins de la Terre, comme le plus grand parmi les plus grands des griots. Des empereurs, des rois, des princes et des chefs, tentèrent par des somptueux cadeaux, d'acheter ses services. En vain. Il leur préféra sa liberté et choisit plutôt de parcourir le vaste monde et de chanter la beauté de la nature.
Celle-ci lui en fut reconnaissante. Lorsqu'il faisait vibrer sa douce voix, les oiseaux cessaient de chanter pour l'écouter. Le vent retenait son souffle, de peur que ses gémissements ne troublent la mélodie. Sans qu'il ne vente, les végétaux animaient gracieusement leur chevelure dans une danse silencieuse. Les astres brillaient davantage pour manifester leur contentement.
Les femmes lui firent une cour assidue, attirées par son aura, telles des abeilles sur des fleurs. Il aurait pu en choisir plusieurs. Mais une seule put ravir son coeur, son corps et son âme, la belle et douce Aisha. Il s'unirent rapidement aux yeux des hommes et des esprits.
Ce jour très heureux pour Maloba à la voix d'or, fut jour de désespoir pour moi. Sous les coups pernicieux de la rougeole, mon petit frère âgé de deux ans, mourût. Ma belle-mère, avec la complicité du féticheur, persuada mon père que, sous l'égide de la sorcellerie, j'avais causé la perte de mon pauvre Kimia.
Mon père fit abattre son courroux sur mon frêle corps, puis me chassa de la maison. Sans logis, j'élus résidence dans les dédales de ma cité, quémandant ma pitance pour subsister.
Deux lunes passèrent ainsi avant que mon infortune ne prenne fin. Tel un héros à la cape pourpre, Maloba à la voix d'or me soustraya de l'impasse et m'admit dans sa famille. Des mauvaises langues tentèrent de l'en dissuader. Mais n'écoutant que leur bon coeur, mon nouveau père et sa femme n'en tinrent pas compte et m'affilièrent à leur descendance.
Deux saisons sèches de pure félicité suivirent ce haut fait. Pas un seul nuage ne vint le ternir. Chapeautés par mon maître, mon initiation aux arts des griots débuta. Il m'instruisit sur les légendes et les contes d'Afrique, sur la science infuse de l'art oratoire. Il m'aprit à magnifier la nature, à tisser les mots et les notes pour créer une toile auditive de toute beauté, à transformer la laideur en splendeur par le verbe et à envelopper les êtres dans un écrin de louanges.
Malheureusement, la mauvaise fortune n'en avait pas terminé avec moi. Elle meurtrit le coeur de Maloba à la voix d'or et le mien, en faisant tomber Aisha et son nouveau-né dans le sommeil éternel.
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LES CONTES DU MBONGUI
ParanormalVenez vous asseoir, au Mbongui, autour du feu. Venez écoutez des histoires, inspirées des traditions africaines.