Du côté des démons | Jean Kirschtein

.・゜゜・Chapitre 3 ◇

Un bruit sourd retentit non loin de la prison de fortune des guerriers Mahrs.

Emma, complètement déboussolée, face à ce réveil, croise le regard d'un soldat. À ses pieds, le corps sans vie de l'homme qu'elle a soigné une semaine plus tôt. Il a été abattu sans aucune pitié avec la technologie de son peuple.

— Essayez de vous enfuir, et c'est le sort qu'on vous réserve, les informe le soldat avant de repartir à la tâche, laissant le corps croupir là où il est.

Les poings de Emma se serrent, avoir mis sa vie en danger pour le sauver tantôt n'a servi à rien. Anaïs avait raison, pourquoi ne l'a-t-elle pas écouté au lieu de sa petite voix intérieure?

Elle devrait être énervée contre ce guerrier pour avoir agi si bêtement alors qu'il devrait encore être alité, mais elle n'est finalement que tristesse pour cette pauvre âme.

Emma aussi aimerait essayer de s'enfuir, de traverser l'océan qui l'a séparé de chez elle et de retrouver sa mère. Cette dernière devrait être morte d'inquiétude, et elle le peut. Il y a des chances qu'Emma meurt ici, sur la terre des démons.

— L'équipe médicale féminine, suivez-moi, leur ordonne une eldienne.

Les infirmières ne se font pas prier, elles sortent rapidement de leur cage et suivent à petit pas le soldat du bataillon d'exploration. Les jambes de la jeune femme sont complètement engourdies à force d'être rester assise plusieurs jours d'affilés. Marcher lui donne l'impression de revivre.

Elles sont emmenées dans une sorte de tante avec plusieurs lits alignés à droite et à gauche, des vêtements sont posés sur huit lits. Les autres ont déjà l'air occupé.

Un autre soldat, un jeune homme blond, vient détacher les liens qui entravent leurs mains.

— Je m'appelle Maria, je suis le médecin chef du Bataillon d'Exploration. Vous résidez ici à partir d'aujourd'hui et serez sous mes ordres.

Emma relève soudainement sa tête pour admirer cette femme de la trentaine qui possède des cheveux bruns attachés en queue de cheval. Une femme médecin, elle est impressionnée.

— C'est surprenant, avoue Anaïs en frottant ses poignets qui sont irrités à cause des frottements des liens contre sa peau. Pourquoi confier la vie de vos soldats à vos ennemis ?

— La raison principale est parce qu'on est en sous-effectif, avoue la médecin. Mais aussi, votre savoir médical doit être bien plus avancée que la notre vue votre technologie.

— Nous ne sommes que des infirmières, renchérit Charlie, restant sur ses gardes. Pourquoi ne pas avoir libéré nos médecins ?

— Certe, ça aurait été plus judicieux, mais je ne leur fais pas confiance. Je ne fais pas confiance aux hommes en général, rajoute-t-elle, suivie d'un rire moqueur.

La brune marche à lente allure pour examiner chacune de ses nouvelles recrues puis s'arrête en face d'Emma.

— Et puis, nous ne sommes pas ennemies comme tous ces militaires qui se jettent dessus, notre rôle est juste de les soigner. Nous partageons toutes ce sentiment de se sentir obligé de sauver une personne quand elle est en danger. N'est-ce pas là, la beauté de la médecine ? Sauver des humains, qu'importe l'endroit d'où ils viennent et pourquoi ils se battent !

La jeune guerrière boit à grande gorgée ces paroles, c'est la première fois qu'elle est autant en admiration pour une personne. Elle hoche positivement de la tête pour répondre à sa question. C'est ce genre de médecine qu'elle veut pratiquer, une médecine qui ne discrimine pas.

— Charlie, n'est-ce pas ? demande Maria une fois qu'elle détourne son regard de la plus jeune. Je veux toi, Anaïs et Emma pour me seconder. Le reste, vous serez répartie entre les médecins. Ah, et juste un conseil tant qu'on y est, je veux réellement construire une relation solide avec vous, cependant, un moindre pas de travers, et je serais obligée de vous faire subir le même sort que votre ami. Croyez-moi, ça me désole rien que de l'imaginer. Bien, maintenant profitez pour vous décrasser et manger, on commence cet après-midi.

Un sourire aux lèvres, elle quitte le dortoir, suivi du jeune soldat qui n'a pas dit un seul mot.

— Je la hais, s'exclame Noëlle une fois qu'elle est assez loin pour ne pas l'entendre. Vous avez vu le ton qu'elle a pris avec nous. Elle se pense réellement supérieure ? Ils peuvent rêver, je ne les aiderait pas, et ne dévoilerai rien de la médecine Mahr. Ces démons n'obtiendront rien de moi, ils peuvent me tuer dès maintenant.

Liahan et Marie acquiescent, suivant à l'aveugle leur aînée.

— Laisse tomber, c'est mieux d'être ici qu'être enfermée comme des animaux, soupire Anaïs en vérifiant les vêtements qui leur sont à disposition, ce sont tous les mêmes.

— Je suis du même avis que toi Noëlle, je ne lui fais pas confiance, mais Anaïs a raison, on a la chance de pouvoir recommencer à se nourrir correctement et à se laver, et je ne me vois pas faire subir un mauvais traitement encore plus longtemps à nos nouvelles recrues, alors pour l'instant, tout le monde fait profil bas, c'est bien claire ? interroge Charlie, même si cela ressemble plus à un ordre.

— Oui chef, acquiesce les infirmières.

— Bien.

Maintenant qu'elle connaît l'avis de ses camarades, Emma va garder son opinion pour elle à propos de leur nouvelle supérieure. Elle ne veut pas attirer les foudres de Noëlle, ou même de Charlie.

Une fois douchée, elle ne s'est jamais sentie aussi bien dans sa vie, elle qui se voyait mourir, elle retrouve de l'espoir.

Avant d'aller déjeuner, la jeune femme sacrifie son drap pour venir recouvrir le corps du guerrier mort ce matin. Les soldats du Bataillon l'observent faire d'un œil mauvais, et l'un s'apprête même à venir l'éloigner du corps, mais une main qui se pose sur son bras l'en empêche.

— Restez à vos postes, tant qu'elle ne dérange personne.

Après avoir prier pour que son âme trouve le repos, elle rejoint les infirmières dans le réfectoire aménagé. Les soldats se méfient d'elles, Emma en est pleinement consciente. Si c'était l'inverse, elle serait comme eux. Pourtant, elles sont en minorité, même si elles le veulent, elles ne peuvent rien faire contre eux.

Cela se ressent lorsque les blessés du bataillon d'exploration sont réticents à l'idée de se faire soigner par des guerrières Mahr, c'est alors Maria qui devait à chaque fois les rassurer. Elle est à vrai dire très impressionnée de la panoplie de connaissance Mahr et des nombreuses techniques développées par ce peuple.

Et c'est ainsi que le nouveau quotidien de Emma en tant qu'infirmière de guerre commence.