Une histoire d'histoires

La nuit étoilée

C'était la veille du jour de l'an 1994, les rues de la ville raisonnaient au son de la musique festive et folklorique typique du temps des fêtes. Alors que certains écrivaient leurs résolutions pour l'année à venir et que d'autres ouvraient une bouteille de champagne en prévision des douze coups de minuit qui approchaient à grands pas, Josué, lui, observait le plafond de sa petite chambre avec insistance. C'était sa tradition à lui, la veille du jour de l'an, et lorsque la première minute de janvier arrivait, il sortait par sa fenêtre, s'étalait sur le petit toit, regardant les premières étoiles de l'année. À quelques reprises, il avait eu droit à des flocons de neige à la place d'une voute étoilée, mais il n'appréciait guère moins ces petits cristaux de glace aux lumières dans le ciel. Cette année-là, ce sont ces minuscules points brillants qu'il affectionnait tant qui se présentèrent devant lui et il ne les quitta des yeux qu'au moment où ses orteils menaçaient de commencer à tomber. Il aurait voulu rester là pour toujours, à observer le toit du monde.

Dans quelques jours Josué fêterait son onzième anniversaire, avec ses bougies s'éteindraient ses derniers espoirs de trouver une famille qui veuille bien de lui. Mme Rostchild le lui avait annoncé il y a déjà plusieurs années de ça, une fois dix ans passés, plus personne ne voudra l'intégrer à leur foyer. Elle l'avait prévenu qu'il devait faire bonne impression à chaque fois qu'un couple venait visiter le manoir, mais il n'avait jamais réussi à être assez bien pour qui que ce soit. Il aurait tant aimé être assez.

Le pensionnat était toujours endormi lorsque les premières lueurs de la nouvelle année se pointèrent à l'horizon. Les enfants récupéraient tous de la seule nuit par an où ils avaient la chance de se coucher alors que le lendemain arrivait déjà. Josué, de son côté, n'avait plus sommeil, il profitait du calme presque terrifiant qui régnait dans le manoir pour errer dans les couloirs, emmagasinant les odeurs qui s'échappaient de chacune des pièces dans sa mémoire. Il était bien ici, il tenta de se convaincre tant bien que mal, il avait quelques amis, Mme Rostchild était gentille avec lui et il avait un toit et à manger tous les jours. Il n'avait pas le droit de se plaindre, c'était ce que la gouvernante lui répétait sans cesse, mais malgré tout, il se sentait vide. Il rejoint la bibliothèque, quelques braises brulant toujours dans le foyer de la pièce, attrapant un livre qui, l'espérait-il, chasserait de son intérieur les pensées qui l'assaillaient depuis son réveil, s'interdisant d'avoir espoir.

Cette journée-là, le premier janvier 1994, fut le jour où Anna Roosevelt visita le pensionnat. Femme de petite taille aux cheveux grisonnants, elle n'avait jamais eu la chance d'élever un enfant et bien que son âge n'allât pas en diminuant, sa décision avait été prise, elle ressortirait de ce manoir, mère. Ne sachant réellement ce qu'elle cherchait, contrairement à la plupart de ceux fréquentant ce lieu, elle demanda à la gouvernante la permission de se promener entre les murs du pensionnat, d'observer les enfants dans ce qu'elle considérait comme leur état naturel, alors qu'ils ne cherchaient à se faire valoir qu'aux yeux de leurs compatriotes. Lorsqu'elle franchit la porte de la bibliothèque, Josué était toujours-là, son livre désormais lut jusqu'à la moitié, il ne daigna même pas lever les yeux en entendant le grincement distinct de la porte qui tourne sur ses gonds. En posant ses yeux sur ce jeune garçon aux cheveux en bataille, si absorbé par sa lecture, ses traits évoluant à mesure que son regard glissait sur les mots devant lui, Mme Roosevelt sût, elle sût qu'il était celui qu'elle chérirait pour le reste de ses jours et qui, osait-elle le croire, viendrait à la voir comme sa mère. Cette journée-là, alors que l'année ne faisait que débuter et qu'il ne l'espérait plus, Josué trouva un foyer, une maison qui fit le vœu de l'aimer sans relâche et de lui démontrer à chaque instant qu'il était assez, et ce, depuis sa plus tendre enfance, il lui suffisait d'attendre qu'on le voie à sa juste valeur.