IV.

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Lucie fixe le sol, perdue dans ses pensées. Pourquoi a-t-elle si froid d'un coup ? Des frissons horribles font trembler son corps. Gerard l'interpelle, lui demandant si tout va bien.

- Je l'ai reconnu quand il est entré, bougonne le vieux. Si tu veux que je le fasse sortir, tu sais quoi dire !
- Vous voir essayer d'être sympa, c'est encore pire que de le voir assis là-bas avec elle, pesta Lucie, ne souhaitant pas être prise en pitié.
- Comme tu veux gamine.

Il se tourne alors pour prendre la tasse de café et y incorporer du lait. Il la pose sous les yeux de la jeune femme, de nouveau ailleurs. Le bruit de la soucoupe sur le bar la fait sursauter, comme si une explosion venait d'avoir lieu. Elle attrape cette dernière et se dirige péniblement vers leur table, sentant son corps la lâcher à chaque pas. Heureusement, l'objet arrive entier jusqu'à la table.

- Mais tu ne veux rien ? s'étonne le brun à l'attention de la rousse.
- Non, j'ai rendez-vous avec un client dans dix minutes ! dit-elle d'un ton las.

Lucie n'attend pas plus longtemps, elle ne veut rien savoir d'eux. Elle a le sentiment d'en savoir déjà beaucoup trop, ce qui la rend encore plus aigrie et morose qu'avant l'arrivée du couple. Lorsque la rousse se lève et embrasse son fiancé, Lucie n'en perd pas une miette malgré elle. Dans le miroir en face d'elle, elle voit tout. Y compris le regard du brun qui se pose sur la jeune serveuse lorsque sa fiancée l'embrasse. La brune baisse les yeux, gênée et blessée. Pourquoi se sent-il obligé de la fixer quand il en embrasse une autre ? Par crainte ? Par peur du malaise ? Si c'est le cas, il est déjà présent depuis qu'il a franchi le pas de la porte du bar restaurant.


Fut un temps, c'est elle qui l'embrassait. Après leur balade, ce fameux soir de Novembre, ils se sont revus souvent. Il prétextait avoir quelque chose à faire dans le quartier, en s'arrangeant toujours pour arriver aux pauses ou à la fin de service de la jeune femme. Elle l'a vite remarqué, une coïncidence n'arrive pas plusieurs fois par semaine. Ni même avec un bouquet ou un café à la main.

Au bout de deux semaines, ils ne se quittaient plus. Profitant de la fraicheur des soirs d'automne, ils se promenaient main dans la main jusqu'à pas d'heure. Puis, comme à leur habitude, ils rentraient chez la jeune femme où vivait alors un amour passionnel et passionné jusqu'aux aurores. Lorsque la brune se réveillait, elle trouvait une douce lettre sur sa table de nuit lui partageant les sentiments du jeune homme.

Tout laissait croire que leur amour durerait toute une vie. Lucie y croyait, elle. Lorsque Damien posait son regard noisette sur elle lors de leurs balades, au bar, pendant leurs ébats ou lorsqu'il lui confiait les mots de son cœur, elle ne pouvait imaginer qu'une fin arriverait un jour. C'était absolument inconcevable. Pourtant, la brune n'a jamais été du style sentimentale ou amoureuse transie. Mais là... quelque chose d'important se produisait. Elle n'en loupait pas une seule seconde, pas un seul moment, se sentant intimement et infiniment reconnaissante de cette merveilleuse vie que l'univers lui offrait à présent. Lucie se savait chanceuse d'être aimée de la sorte, peu de personnes avaient ce privilège, rêvant à ces sentiments presque une éternité.

Le vent glacial ne pouvait rien contre eux. Ils le bravaient chaque jour, profitant au maximum de la vie. Le jeune homme arrachait des éclats de rire à Lucie sans aucun mal, faisant raisonner dans le monde le bonheur le plus pur qui existait. Lucie était éperdument amoureuse de Damien, et Damien...

Un de ces soirs de novembre, le brun passa au bar. Lucie attendait déjà la fin de son service avec une impatience déconcertante pour son patron qui ne l'avait jamais vue respirer autant la joie de vivre. Lorsque son copain passa le pas de la porte, le visage de la jeune femme blêmit automatiquement. Quelque chose de différent des autres soir se passait. La fin novembre amena en sa compagnie des clients frileux, laissant donc la jeune femme partir une heure avant la fin de service habituelle. Angoissée, elle enfila son manteau, son écharpe et ses gants sans même prendre la peine de retirer son tablier. Les yeux noisette de Damien étaient devenus très sombres. En la voyant arriver, il lui adressa un faible sourire, plein de tristesse. Lucie s'approcha doucement, déposant un baiser sur ses lèvres. Il ne bougea pas d'un poil, continuant à esquisser un sourire timide et presque embarrassé.

Il ne fallut que trente minutes de marche pour que Damien s'arrête.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda la jeune femme, inquiète.
- Ecoute... souffla-t-il en regardant le ciel. Je ne sais pas tellement comment dire ça...
- Dis le, tout simplement ? s'empressa de répondre Lucie, la boule au ventre.
- Je vais partir, Lucie. Je pars pour essayer de devenir pianiste professionnel.

Les yeux de la jeune femme s'écarquillaient. Lui qui rêvait de pouvoir composer des musiques pour les plus grands, il avait semble-t-il enfin la possibilité d'atteindre son rêve !

- Mais... c'est super ! s'exclama Lucie, sincèrement heureuse pour lui.
- Oui... c'est une belle opportunité.
- Et tu pars où ? Quand ?
- A Londres, répondit-t-il, ne partageant pas l'enthousiasme de la brune. Je suis pris dans un très grand conservatoire.
- Wouah ! J'ai toujours rêvé de visiter Londres un jour ! C'est super ! On pourra se balader là-bas lorsque je viendrai te voir, sourit Lucie, des étoiles plein les yeux.

Le silence était bien plus glacial que le vent ce soir-là. Les gens attendaient le bus en sortant du travail. Des jeunes se promenaient et riaient ensemble. Les lumières qui accueillent tous les ans Noël rayonnaient déjà de mille feux. Les feuilles aux nuances orangés virevoltaient. Et Lucie s'apprêtait à avoir le cœur brisé pour la première fois.

- Lucie... commença le jeune homme, recoiffant ses cheveux bruns aux tons roux complètement délavés par le temps. Je...
- Quoi ? Tu n'es pas content ? souffla-t-elle, perdue. C'est ce que tu voulais depuis longtemps, non ?
- Oui... oui ! Mais... il shoota dans un caillou en jurant. C'est fini, Lucie. C'est fini...

Elle ne comprit pas tout de suite ce qu'impliquait ces mots. Ni même ce qu'ils signifiaient, au fond.

- Comment ça ?
- Nos chemins se séparent ici... je suis... désolé... murmura Damien, les yeux rougis.
- Mais...
- C'est un nouveau départ, une nouvelle vie pour moi. Et, je... je ne veux pas te laisser là, en souffrance, parce que je n'aurais pas le temps. Je ne veux pas non plus louper cette chance unique en laissant mon cœur ici, à tes côtés. Alors... il faut qu'on aille de l'avant, maintenant.

Une pluie légère mais gelée commençait à montrer le bout de son nez lorsque Damien embrassa la jeune femme sur le front dans un dernier élan d'amour. Un « je suis désolé » emplit de douleur se faufila jusqu'aux oreilles de la brune. Une goutte brulante tomba sur la joue de la jeune femme.

Ce n'était pas la pluie, ni même les larmes de Lucie...

Le vent de Novembre: bourrasque.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant